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la quantité de la matière est finie, et que l’espace n’est pas tel qu’Euclide le concevait, nous pouvons rendre compte de toutes les propriétés générales du monde réel. »

C’est Riemann surtout qu’il faut consulter, si l’on veut bien entendre la force des raisons qui sollicitent aujourd’hui l’entendement humain à modifier ses conceptions sur la nature de l’espace, et à rejeter la conception Euclidienne, comme il a dû précédemment faire correspondre ses idées sur les propriétés de l’espace, au développement de ses facultés organiques et de ses sens.

Le troisième chapitre de la IVe partie n’est pas moins riche que le second en observations ingénieuses. Il traite des propriétés générales de la matière.

M. Zöllner se pose la question suivante : « À quelles conditions les propriétés générales de la matière doivent-elles satisfaire pour répondre au besoin de la causalité, qui les a fait hypothétiquement attribuer par l’entendement à la matière ? »

Toute perception sensible ne se produit en nous qu’à la suite de raisonnements inconscients : car elle est toujours pour notre entendement la cause connue en dehors de nous (Object ausser uns) d’une action ressentie en nous (Empfindung). Or ces raisonnements ne sont qu’une application inconsciente du principe de causalité, comme Schopenhauer dès 1813, et, vingt-cinq ans plus tard, Helmholtz l’ont établi avec une irrésistible évidence. Mais, si l’existence de la loi de la causalité doit être considérée comme la première condition pour la possibilité de la connaissance expérimentale, même du fait le plus simple, « il est clair que la condition fondamentale, sans laquelle l’entendement manquerait des matériaux nécessaires à la construction de la réalité extérieure par l’application du principe de causalité, doit être également un fait donné et indépendant de toute démonstration. Les matériaux de l’entendement, ce sont les sensations. »

Voilà donc les deux conditions sans lesquelles les propriétés générales de la matière nous seraient inintelligibles : des raisonnements inconscients comme autant d’applications instinctives du principe de causalité, et des sensations.

Il paraît bien résulter de là que la sensation est une donnée beaucoup plus essentielle de l’observation que le mouvement, bien que nous soyons forcés d’attribuer ce dernier à la matière comme sa propriété la plus générale, et comme la condition sans laquelle les changements sensibles nous seraient inintelligibles. — Les propriétés mécaniques de la matière expriment les relations des phénomènes dans la durée et l’étendue : l’action des forces physiques ne fait qu’établir entre ces relations la régularité et l’enchaînement de relations causales. On comprend sans peine que le fait empirique de la sensation ne peut se tirer par voie de conséquence de ces propriétés mécaniques de la matière. Dans l’idée de la qualité particulière à telle sensation, nous ne découvrons aucun des éléments qui constituent les rapports de causalité,