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bouillier.douleur et plaisir

On dirait que nous avons tout à fait quitté le monde de la nature humaine et des êtres vivants pour celui de la mécanique. Que sont ces forces dont l’ensemble, comme il le dit, constitue le moi, ces forces qui s’associent ou se dissolvent ? Dans laquelle placer la conscience du plaisir et de la douleur ? Sans doute il y a des luttes de forces d’où résultent le plaisir et la douleur ; mais dans cette lutte, il y en a nécessairement une qui à la fois intellectuelle, vitale, organique, embrassant et constituant l’homme tout entier, est le sujet unique de tout plaisir, comme aussi de toute peine, selon qu’elle est la plus forte ou la plus faible, selon qu’elle est victorieuse ou vaincue.

Ainsi, abstraction faite de la nature propre des êtres vivants, de leurs espèces et de leurs facultés, M. Dumont attache le plaisir et la peine à toute augmentation et à toute diminution de force, quels que soient, d’ailleurs, le rôle et la nature de ces forces dans le monde, qu’elles soient mécaniques ou organiques. Assurément nous ne restreignons pas à l’homme seul, comme Descartes, le domaine du plaisir et de la douleur. Nous l’étendons à tous les êtres vivants sans exception, même les plus humbles et les plus informes, mais nous ne retendons pas au delà. Où il n’y a pas une activité particulière, déterminée, vivante et consciente, ce qui est pour nous la même chose, n’importe à quel degré, il nous est impossible de concevoir une ombre même du plaisir ou de la douleur. Nous laissons donc M. Dumont, à l’exemple de Campanella, dans le De Sensu rerum, ou bien d’Hartmann, dans sa Philosophie de l’inconscient, animer tout à son aise les pierres et les rochers, ainsi que l’éther qui se meut dans l’espace, et répandre à flots la sensibilité sur la face de l’univers entier.

Il est vrai qu’il entend la conscience d’une façon particulière. Dire que le moi n’a pas conscience d’un phénomène, ce n’est nullement affirmer que ce phénomène n’est pas conscient en lui-même et pour son propre compte. L’inconscience relativement au moi n’est pas, selon M. Dumont, l’inconscience absolue. Avouons, sans nulle honte, ne pas comprendre ce que signifie ce phénomène conscient en lui-même, sans que le moi en ait conscience, à moins qu’on en fasse un être à part, à moins qu’on ne lui donne une âme, un petit moi différent de notre grand moi. Mais quel rapport cette conscience étrangère a-t-elle avec celle qui est nôtre ? N’est-ce pas comme si l’on disait que la conscience de Paul est celle de Pierre, ou encore que la douleur du patient est celle du chirurgien qui l’opère ? Toutefois, avec cette façon nouvelle d’entendre la conscience, il paraîtra peut-être un peu moins étrange que M. Dumont veuille la mettre partout en compagnie de la sensibilité.