mais ces paysans, inaccoutumés aux obligations nouvelles en face desquelles ils se trouvaient, devinrent rapidement la proie des usuriers ; résultat déplorable sans doute ; quel pays a su pourtant l’éviter ? En Russie aussi bien qu’aux États-Unis, l’émancipation a entraîné des désordres analogues. On en vient à se demander s’il est possible d’éviter aux émancipés la douloureuse épreuve de l’expérience personnelle à leur entrée dans la vie sociale[1].
Les Roumains, avec un sens politique remarquable, comprirent la nécessité d’une dynastie étrangère. Ils appelèrent au trône le prince Charles de Hohenzollern qui était, à la fois, le neveu du roi de Prusse et le cousin de Napoléon iii. L’Europe avait fait des objections à ce choix ; de son côté, le roi de Prusse se montrait favorable à l’acceptation de son neveu. L’empereur des Français intervint à nouveau et rendit par-là un service de plus à la nation roumaine. Charles ier en effet a été, de tous points, un souverain remarquable. Son prédécesseur avait déblayé ; il construisit. Secondé par la reine Élisabeth, l’exquise princesse dont les œuvres littéraires ont illustré par le monde le doux et poétique pseudonyme de Carmen Sylva, il a su faire de sa patrie d’adoption un État robuste et prospère auquel sont promises — on n’en saurait douter désormais — de hautes destinées. Ses sujets ont apporté à le comprendre et à le suivre une intelligence et une ténacité dignes de leur valeur ancestrale. Ils lui ont fourni des ministres et des parlements animés d’un patriotisme éclairé, capables à la fois de sagesse et d’audace. Avec leur chef Catargi les conservateurs restèrent six ans au pouvoir. Bratiano et les libéraux leur succédèrent. Puis vint le tour des « jeunes conservateurs » ou junimistes. Les questions graves, périlleuses ne manquèrent point. Il y eut à parfaire l’indépendance nationale en substituant à la principauté vassale un royaume libre ; la construction des chemins de fer fut
- ↑ Pour donner une idée des difficultés qui surgissaient de toutes parts, il suffit de se rappeler l’affaire des couvents dédiés. C’étaient des établissements qui étaient arrivés à posséder la huitième partie du sol ; les anciens hospodars les avaient laissé se rattacher aux grands monastères grecs de l’Athos, du Sinaï, de Jérusalem ; ils en dépendaient et presque tous leurs revenus s’en allaient ainsi hors du pays. Une sécularisation générale, après de vaines négociations, mit fin à cet état de choses.