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LE JAPON TEL QU’IL EST

inventions nationales : on y trouve des modèles réduits de ces inventions. Or c’est un fait que quatre-vingt-dix fois sur cent on est mis en présence d’un objet déjà connu en Europe ou en Amérique, habilement copié, et breveté là-bas comme invention japonaise. Les rares Européens qui visitent ce musée ne s’y laissent pas prendre — malheureusement leur autorité de témoins oculaires est insuffisante à balancer celle de nos voyageurs en chambre — mais le bon peuple japonais s’extasie devant les vitrines, admire le génie de sa race, en conçoit un orgueil immense, et finira par oublier que nous lui avons servi de modèles. Nous avons rencontré au Japon, dans les classes populaires, des individus qui nous ont demandé « s’il y avait à Paris des tramways électriques, s’il y avait des chemins de fer en France ? » Ce singulier état d’esprit augmente leur arrogance en face des étrangers et nuit énormément au développement de leurs relations avec l’Europe. Car s’il est excellent d’avoir confiance en soi — et ils viennent de le prouver — il n’est pas moins utile de savoir mesurer ses forces.

De même que le commerce, la grande industrie japonaise se trouve entravée par ces défauts caractéristiques. Nous avons vu combien ils sont privilégiés par la nature pour devenir une puissance industrielle de premier ordre. Eh bien ! ici encore l’avenir est compromis. Par orgueil, ils ont chassé trop tôt leurs employés Européens et sont inhabiles à les remplacer ; par inexpérience, ils administrent au jour le jour, sans souci de l’avenir, et sont à la merci d’un incident ; sous l’empire des anciennes coutumes, ils sont imprévoyants, tous, depuis leurs ingénieurs en chef jusqu’aux manœuvres : l’économie pour eux, est toujours un défaut, les directeurs ne constituent pas de réserves et les ouvriers n’épargnent pas, on ne vient à l’atelier que poussé par la faim et les usines sont vides pendant les premiers jours qui suivent celui de la paie.

Il en est de même un peu partout et à propos de tout. Les progrès ont été tellement rapides que les institutions ne sont plus en harmonie avec les mœurs. L’équilibre social est rompu. Seule l’élite a compris ce qu’elle faisait, mais elle est demeurée impuissante à le faire comprendre au peuple.

Au point de vue intellectuel et moral, le Japon d’aujourd’hui est encore le Japon d’autrefois. Autant les Japonais se sont merveilleusement adapté nos moyens matériels, autant ils compren-