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PAYSAGES DE CALIFORNIE



i. — Le Col de San Luis Obispo

Il pouvait être six heures du soir quand le petit chemin de fer s’arrêta au fond d’une vallée roussi devant un massif montagneux qui décidément lui barrait la route. Il avait couru depuis midi au milieu des longues herbes sèches, les rails posés tout uniment sur le sol, franchissant les ruisseaux sur des ponts improvisés et s’arrêtant à des stations minuscules dont les noms poétiques à désinences espagnoles, évoquaient les lointains ensoleillés du Sud. Et c’était, au coucher du soleil, une grande féerie rouge comme si mille flammes de bengale se fussent allumées tout à coup. Des aigrettes de feu s’attachaient partout, sur la crête des collines, aux cailloux du sol et aux rebords des petits nuages qui descendaient très pressés derrière l’horizon.

Au milieu de ce paysage à grandes lignes primitives sans culture encore et d’une beauté intacte, deux petites maisons de bois, de celles qu’en Amérique on transporte partout si aisément se dressaient, proprettes et puériles comme des joujoux d’enfants, posés sur la terre nue ; l’une d’elles servait de domicile au chef de gare et portait en grosses lettres bleues le nom de la localité : Santa Margarita. Une sorte de quai la prolongeait le long duquel le train avait fait halte ; un peu plus loin la voie se perdait dans les herbes en attendant que fut creusé sous la montagne le tunnel qui devait lui permettre d’atteindre San Luis Obispo.

Il y eut sur ce quai tout un déballage d’hommes et de choses, instruments aratoires perfectionnés, barils, caisses, sacs de toile, paniers de fruits ; nos malles parisiennes un peu dépaysées par le voisinage attiraient l’attention ; d’ordinaire, les touristes qui vont de San Francisco à Los Angeles prennent la vue de l’intérieur ; sur la côte le chemin de fer est intermittent et les auberges sont rares.

Pour enlever toute cette marchandise et la répartir il fallut une heure comme si, sur ce versant joyeux de la rude Amérique, le temps avait absolument cessé de représenter de l’argent ; les hommes bavardaient entre eux, riaient, chantaient tandis que s’allumaient les constellations dans l’azur rapidement assombri. Et la