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REVUE POUR LES FRANÇAIS

res ; elles ne sont pas la vie. L’hiver quand tu as froid, les ours et les loups ne te donnent pas leurs peaux en échange de tes cailloux.

Le Mineur. — Tu te trompes. Avec mon or, j’ai tout. J’ai du blé, j’ai des fruits et j’ai aussi des fourrures sans combattre les fauves dangereux. (À Irheuld). Tandis que toi…

Irheuld. — Tu préfères fouiller la terre comme une taupe. Moi j’aime le danger. J’aime affronter la mort car, pendant mes combats, je lis dans les yeux de ma compagne et son amour et sa confiance en mon bras. (Désignant les enfants). Ceux-là, pourtant bien jeunes, crispent déjà les poings ; j’entends dans leur poitrine battre un cœur courageux et, quand j’ai tué des loups ou des ours, je trempe leurs petits membres dans le sang tout chaud pour les rendre plus forts tandis que toi, tu trembles, tu te caches dans ton terrier et ce sont des bêtes crevées que tu dépouilles pour te couvrir quand tu as froid.

Le Mineur. — Vains mots que tout cela. Tu cries ta force et ton courage parce que tu as peur ; tu hurles ton mépris parce que ton cœur défaille. As-tu vu ta compagne tout à l’heure ? Elle était pâle de bonheur. Ses doigts tremblaient en tenant ce collier. J’aurai tout, te dis-je (s’exaltant). Je serai le génie infernal qui bouleverse les hommes et transforme les mondes. Avec un peu de mon or, j’aurai les puissants efforts de la jeunesse. Avec de l’or j’aurai vos femmes et vos filles ; j’aurai du sang : j’aurai des larmes. L’or vous affolera tous ; je ferai lâches les plus braves ; je changerai en boue le sang des plus nobles races ; les pères vendront leurs fils et, pour de l’or, les fils tueront leurs pères. Il y a des hommes que je changerai en reptiles.

Tous (reculant terrifiés). — Ah !…

Le Mineur (avec un rire sardonique). — Ah ! ah ! vous reculez, vous voilez vos faces ! Tiens, vieillard, vois-tu ce quartier de roc (il pose dans les mains du vieillard un bloc énorme de quartz) ; c’est le plus beau, le plus lourd que j’aie pris à la terre aujourd’hui ! Vois-tu, voyez-vous tous ? Dans cette misérable pierre, il y a assez d’or pour payer l’honneur d’une famille entière. (Tous semblent prostrés devant la force occulte). J’obtiendrai tout, vous dis-je ! Avec mon or, je tromperai la mort, j’achèterai la vie… la vie ! et quand je voudrai dormir à jamais, ce sera dans l’or, écrasé d’or.

Sur ce mot le vieillard qui se trouve au-dessus de lui l’écrase et l’assomme avec le bloc qu’il avait gardé péniblement dans ses mains.