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Page:Revue pour les français, T2, 1907.djvu/48

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REVUE POUR LES FRANÇAIS

La paix sociale ?… pédagogiquement, elle est faussée chez nous de deux façons. D’abord par la fixation malencontreuse des carrières. Presque toujours choisies en ignorance de cause, elles se poursuivent trop souvent à contre-cœur et sans possibilité de changement. On a le goût d’être marin ou médecin ou soldat, passe ; mais d’abord ce goût ne se dessine pas toujours d’instinct, et puis, pour quelques carrières déterminées à allures tranchées, combien d’autres dont le jeune homme ne sait rien. Vous me direz que ses parents et ses maîtres sont là pour le renseigner, qu’on a rédigé pour lui des petits manuels très ingénieux, exposant la manière d’entrer dans une carrière, d’y progresser, en déterminant les aboutissements possibles… Tout cela peut être exact mais il suffit d’avoir quelque peu vécu au milieu des adolescents pour savoir combien ces choses sont grises à leurs yeux, combien elles manquent de relief et combien alors leur imagination y supplée en les habillant de façon trompeuse. Or la spécialisation de la carrière se fait mal ; elle est trop étroite, trop contenue. Le jeune homme s’y enfonce, s’y perd ; il n’en peut plus sortir.

Le programme analytique lui ouvrira de plus vastes horizons et lui fera toucher du doigt les formes si diverses de l’activité humaine. Il connaîtra les caractéristiques de chaque carrière parce qu’elle lui sera montrée non plus seule, limitée et grisâtre comme une vitrine de musée, mais avec sa place précise dans la vie générale, sous la lumière crue de la réalité. Et par là même, en sortir plus tard si son goût ni son intérêt le lui conseillent ne sera plus aussi ardu. L’enclos voisin du sien n’aura plus de mystères ; il l’aura vu d’avance ; il en connaîtra le plan et la disposition ; il ne sera plus l’aigri, le mécontent, dont la société a si souvent à se plaindre.

Voilà mon premier élément par lequel la paix sociale se trouve faussée : il y en a un second.

On parle souvent de l’instruction intégrale. C’est un beau rêve peut-être mais c’est un rêve. Ce qui ne l’est pas c’est la nécessité où se trouve la civilisation présente d’approprier l’instruction dans la mesure raisonnable aux doctrines caractéristiques du temps présent. Le temps présent est égalitaire. Je ne sais pas ce que vous en pensez et cela m’est égal parce que, moi, je n’en pense rien. Je me suis toujours souvenu de ce que me disait, il y a bien longtemps, un grand homme dont l’amitié me fut un honneur, le père Didon. « C’est ridicule, disait il en parlant de ceux qui s’insurgent