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L’ÉVOLUTION MILITAIRE AU XVIIe SIÈCLE

organisation elle-même. Les Français sont amoureux des formules et plus les formules simplifient un sujet plus ils s’y attachent et les répètent volontiers. Armée de métier ou armée nationale, voilà qui, à leurs yeux, élucide et résume tout le problème militaire : il tient entre ces deux termes et y évolue.

Sous l’ancien régime, l’armée était tout uniment une armée de métier comme elle l’était redevenue sous le second empire ; celle de 1792 fut une armée nationale comme l’est aujourd’hui l’armée de la troisième république. Le plus grand mérite de monographies semblables à celles que M. Camille Rousset consacrait naguère à Louvois ou que M. Louis André vient de consacrer à Michel Le Tellier, c’est de nous faire toucher du doigt la naïveté d’une notion aussi simpliste. À proprement parler, le terme d’armée de métier n’a de sens qu’appliqué à des troupes mercenaires et, s’il est vrai que la France de Richelieu possédait beaucoup de pareils régiments, Le Tellier s’appliqua précisément à en diminuer le nombre et à substituer aux soldats étrangers qu’il licenciait des soldats français ; en sorte qu’il fut un des initiateurs de l’armée nationale.

Il ne le fut pas par principe mais simplement par ce qu’il lui parut que le « service du roi » y gagnerait ; le service du roi, pour un homme de son temps et de son caractère, c’est ce que nous appellerions nous-mêmes le bien public. Un serviteur du bien public, préposé à cette époque aux choses militaires, devait être quelque peu découragé par l’ampleur et la diversité des réformes à accomplir. Richelieu en avait jeté sur le papier les préliminaires. Il avait même été jusqu’à un commencement d’exécution et l’on cite justement son ordonnance de 1639 comme le point de départ de l’organisation à laquelle s’employèrent successivement Le Tellier et son fils. Le premier occupa pendant vingt-trois ans la charge de secrétaire d’État à la guerre. On conçoit qu’un homme de sa valeur et de son activité auquel est départi un tel laps de temps puisse laisser derrière soi une œuvre sinon achevée du moins fort avancée. Louvois, succédant à son père, mena cette œuvre à bien. Telle est la thèse de M. André. Elle paraît plausible mais, encore une fois, ce qui en dépasse l’intérêt c’est l’étude de l’instrument lui-même que trois volontés successives parvinrent à forger et qui, une fois prêt, fut imité par les autres nations en sorte que ce n’est pas seulement de l’ancienne armée française qu’il s’agit ici mais de l’armée moderne, au sens le plus général de ce mot.