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PHYSIQUE

Les nouvelles substances radioactives[1].

Les recherches sur les substances radioactives ont pour point de départ la découverte des rayons uraniques faite par M. Becquerel en 1896. L’uranium et ses composés émettent spontanément des radiations qui impressionnent les plaques photographiques, et se propagent rectilignement. Mais ces radiations ne sont pas des rayons lumineux. Les rayons uraniques impressionnent les plaques photographiques au travers du papier noir opaque à la lumière ou d’une feuille mince de métal ; ils traversent, en général, toutes les substances, mais seulement sous une faible épaisseur, car ils sont fortement absorbés par tous les écrans et même par l’air dans lequel ils ne se propagent pas au-delà de quelques centimètres. Les rayons uraniques ne se réfléchissent pas, ne se réfractent pas et ne se polarisent pas ; ces rayons rendent l’air qu’ils traversent conducteur de l’électricité, et c’est là une de leurs propriétés les plus importantes.

Quand on se trouve en présence d’un phénomène nouveau, il est naturel de chercher à le classer en essayant de faire des rapprochements avec des phénomènes déjà connus et étudiés. On s’aperçoit alors que les propriétés des rayons uraniques, dont je viens de parler, sont des propriétés communes aux rayons cathodiques et aux rayons Röntgen, les deux espèces de rayons émis dans un tube de Crookes. Il convient donc de rapprocher les rayons uraniques des rayons cathodiques et des rayons Röntgen ; mais il est un autre côté de l’émission uranique, et ce côté se refuse à toute analogie, — je veux parler de la spontanéité et de la constance de l’émission uranique.

L’émission des rayons uraniques est spontanée, c’est-à-dire qu’elle n’est produite par aucune cause excitatrice connue. Pendant longtemps M. Becquerel avait pensé que la lumière était la cause du phénomène ; que l’uranium emmagasinait en quelque sorte de la lumière et qu’il restituait ensuite l’énergie ainsi emprisonnée sous forme de rayons uraniques. Dans cette manière de voir les rayons uraniques ne seraient qu’une phosphorescence très particulière et de très longue durée. Mais l’expérience n’est pas favorable à cette interprétation du phénomène. M. Becquerel a pu, en effet, conserver de l’uranium pendant des années dans l’obscurité complète sans lui faire perdre son activité. De plus, s’il n’est pas possible de priver l’uranium de ses propriétés par un séjour dans l’obscurité, il n’est pas davantage possible d’augmenter son émission par un éclairement intense ni par aucun autre procédé. L’émission des rayons uraniques est très constante, elle ne varie sensiblement ni avec le temps, ni avec l’éclairement, ni avec la température.

C’est là le côté le plus troublant du phénomène. Quand nous observons la production de rayons cathodiques ou de rayons Röntgen, nous fournissons nous-mêmes au tube producteur l’énergie électrique ;

  1. Conférence faite à la Séance publique annuelle de la Société de Secours des Amis des Sciences, le 14 juin 1900, dans l’Amphithéâtre Richelieu, à la Sorbonne.