Aller au contenu

Page:Revue scientifique (Revue rose), série 4, année 38, tome 15, 1901.djvu/457

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
454
M. JEAN PERRIN. — LES HYPOTHÈSES MOLÉCULAIRES.

un litre du gaz considéré. Montrons que l’on peut trouver deux équations qui déterminent ces deux nouvelles inconnues.

Tout d’abord il est évident que si la pression décroît, c’est-à-dire si le nombre N devient plus petit, le libre parcours moyen doit grandir. De même, ce libre parcours doit dépendre du diamètre D ; car, les autres conditions restant les mêmes, deux molécules qui passent à côté l’une de l’autre ont d’autant plus de chances de se heurter qu’elles sont plus grosses. En précisant ce raisonnement un peu vague, on obtient une équation où figurent N, D et L ; c’est-à-dire, puisque L est déjà connu, une équation où figurent seulement les inconnues N et D.

Supposons maintenant que, par exemple en abaissant sa température, on solidifie le gaz d’abord contenu dans un litre ; il occupe alors un volume que l’on peut mesurer et où sont contenues les N molécules primitives. En raison de l’incompressibilité presque absolue des solides, il est naturel d’admettre que ces N molécules sont collées les unes contre les autres dans le volume Le volume ne peut donc différer beaucoup de la somme des volumes vrais des N molécules, c’est-à-dire de N sphères de diamètre D : cela fait une seconde équation entre N et D. Malheureusement cette seconde équation n’est qu’approximative.

Nous pouvons donc, au moins d’une manière approchée, calculer le diamètre des molécules et leur nombre.

On trouve ainsi que les diamètres des différentes molécules doivent être compris entre un millième et un dix-millième de micron [entre 10-7 et 10-8 cm]. Si l’on se rappelle que, lorsque le diamètre d’une sphère est multiplié par 10, son volume est multiplié par 1 000, on comprendra sans peine que les diamètres des molécules appartenant aux gaz les plus différents puissent être compris dans cet intervalle restreint. En gros, ces diamètres sont au millimètre comme le millimètre est au kilomètre. Les minces couches d’huile étudiées par lord Rayleigh pouvaient donc contenir, dans leur hauteur, entre 2 et 20 molécules.

Quant au nombre N des molécules contenues par litre dans un gaz, dans les conditions ordinaires de température et de pression, il est, comme on devait s’y attendre, extraordinairement grand. On trouve qu’il doit être égal à 55 milliards de trillions (5,5.1022), nombre qui, en raison même de son énormité, ne dit plus rien à l’imagination. À l’intérieur d’un tube de Crookes, sous une pression d’un millionième d’atmosphère, chaque millimètre cube contient encore environ 50 milliards de molécules.

Les atomes. — En vous disant combien il y a de molécules dans un litre de gaz, je n’ai pas spécifié la nature de ce gaz. Ce n’était pas là une omission. On peut en effet démontrer, et, pour abréger, nous admettrons, comme une conséquence des hypothèses qui précèdent, que deux volumes égaux de gaz quelconques, pris à la même température et sous la même pression, contiennent un même nombre de molécules. Par exemple, à 0° et sous la pression de 76 centimètres de mercure, un litre d’hydrogène, un litre de chlore, et un litre d’acide chlorhydrique gazeux, contiennent chacun un même nombre N de molécules.

Dès lors, en nous aidant de considérations d’ordre chimique, nous pouvons arriver à concevoir et à définir les atomes.

À la même température et sous la même pression (par exemple à 0° et 76 centimètres) un litre d’hydrogène et un litre de chlore contiennent chacun N molécules ; mélangeons ces deux gaz, puis éclairons le mélange par de la lumière diffuse, ce qui est un moyen pour les faire réagir l’un sur l’autre : ils combinent et donnent de l’acide chlorhydrique. Quand la réaction est terminée, on constate que la pression et la température ayant repris les valeurs initiales on a obtenu deux litres, et par suite 2 N molécules, d’acide chlorhydrique.

Toutes ces molécules sont identiques ; toutes contiennent donc la même quantité d’hydrogène. Or on avait d’abord N molécules d’hydrogène, maintenant répartis entre 2 N molécules d’acide ; il faut bien admettre que chacune s’est coupée en deux moitiés, en deux morceaux identiques. Le même raisonnement montre que chaque molécule d’acide chlorhydrique contient la moitié de la molécule de chlore.

On peut répéter un raisonnement analogue pour toute combinaison chimique renfermant de l’hydrogène. Or, malgré le nombre immense de ces combinaisons, on n’est jamais arrivé à réaliser un corps dont la molécule contienne une quantité d’hydrogène inférieure à la moitié de la molécule d’hydrogène pur ; on n’est pas arrivé davantage à réaliser un corps dont la molécule contienne les 2/3 ou les 7/5 de la molécule d’hydrogène. Ce qu’on obtient invariablement, ce sont des corps qui contiennent exactement une fois, deux fois, trois fois… la moitié de la molécule d’hydrogène. Cette petite masse d’hydrogène apparaît ainsi comme absolument indivisible par les forces chimiques ; elle peut s’ajouter à elle-même, mais jamais se briser en fragments plus petits ; c’est elle que l’on appelle atome d’hydrogène.

La molécule d’acide chlorhydrique contient donc un atome d’hydrogène, la molécule d’hydrogène en contient deux, la molécule de gaz ammoniac en contient trois ; etc. Plus généralement, toute molécule apparaît maintenant comme un édifice formé par l’assemblage d’atomes assez étroitement unis pour ne pas se séparer lorsque deux molécules se