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Page:Revue scientifique (Revue rose) année 47, 2e semestre, 1909.djvu/10

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à cette raison, elle est la mère féconde de tous les progrès. Dans l’éloge historique qu’il a consacré à Lamarck lui-même, Cuvier ne définit pas autrement l’homme de génie, mais il y a pour lui « les génies sans pairs, dont les immortels écrits brillent sur la route des sciences comme autant de flambeaux destinés à l’éclairer aussi longtemps que le monde sera gouverné par les mêmes lois ; d’autres d’un esprit non moins vif, non moins propre à saisir des aperçus nouveaux, qui ont eu moins de sévérité dans le discernement de l’évidence. Aux découvertes véritables dont ils ont enrichi le système de nos connaissances, ils n’ont pu s’empêcher de mêler des conceptions fantastiques ; croyant pouvoir devancer l’expérience et le calcul, ils ont construit de vastes édifices sur des bases imaginaires, semblables à ces palais enchantés de nos vieux romans que l’on faisait évanouir en brisant le talisman dont dépendait leur existence. » Telle est, pour lui, l’œuvre de Lamarck, et il l’étudie pour apprendre aux hommes laborieux qui cherchent à servir la Science sans être capables de la renouveler, « à distinguer par de notables exemples les sujets accessibles à nos efforts et les écueils qui peuvent empêcher d’y atteindre ». Toute la grandeur de l’œuvre de Lamarck réside pour lui dans ses travaux de Botanique, dans ses Mémoires descriptifs de Zoologie et surtout dans son Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, en un mot, dans cette série de travaux que Geoffroy Saint-Hilaire caractérise en décernant sur sa tombe à son collègue le titre de Linné français. Le petit soldat de 17 ans qui, à Villingshausen, avait répondu : « Je n’ai pas d’ordres » aux vieux troupiers qui l’engageaient à fuir, avait envisagé de bien autres horizons. Lavoisier venait d’introduire dans la Chimie la précision de ses comptes de fermier général ; il avait dressé le bilan des opérations chimiques et établi que l’opération devait toujours se solder par une exacte balance des éléments en présence. En affirmant que la matière était indestructible, incréable par nos moyens, douée de propriétés inaltérables, la Chimie nouvelle fermait la voie à toute recherche sur ses origines. Or, c’était là, pour l’ardent esprit de Lamarck, le problème intéressant. Pourquoi certains corps mis en présence les uns des autres semblent-ils se détruire réciproquement pour former un corps nouveau qui ne possède les propriétés ni des uns ni des autres ? Pourquoi y a-t-il des corps combustibles et des corps corrosifs ? Quelle est la nature des saveurs, des odeurs, des couleurs, du son, de la chaleur, de la lumière, de l’électricité ? Rien de tout cela n’est dans la chimie de Lavoisier, que Cuvier reproche à Lamarck de ne pas connaître. Questions insolubles, dira-t-on, et qu’il vaut mieux, pour un homme de science prudent, laisser sans réponse ! Mais quel est le philosophe qui s’est jamais astreint à une pareille prudence, et que serait la science elle-même si elle s’interdisait d’aborder jamais les questions réputées insolubles ou seulement celles dont la solution peut paraître redoutable pour les préjugés courants ? Lamarck croit avoir découvert une cause commune à tous ces phénomènes ; pour désigner cette cause, il emprunte à la vieille chimie et au langage courant le nom de feu. Le feu est polymorphe, sans cesse en mouvement ; c’est lui qui anime le monde, qui est l’agent de toutes les métamorphoses. Qu’il pénètre les corps et s’accumule dans leur substance, il les rend, suivant sa quantité, combustibles ou corrosifs ; qu’il s’en dégage, il les échauffe, les dilate, les liquéfie, les volatilise, les brûle, les calcine, devient sensible sous forme de chaleur ou fait apparaître la lumière avec son prestigieux cortège de couleurs. Celle-ci domine à son tour ; fille du Soleil, elle le refoule dans les corps et régénère la chaleur dont les conflits avec l’électricité déterminent finalement tous les mouvements de la vie. La vie n’est pas seulement la créatrice des végétaux et des animaux ; les êtres qu’elle anime s’emparent de toutes les substances, les élaborent dans leurs tissus, se décomposent quand elle les abandonne, laissant comme résidus les diverses sortes de minéraux qui forment la croûte terrestre.

Les eaux interviennent, à leur tour, pour remanier cette croûte et en façonner les reliefs. Agitées par les marées que produit l’action lunaire, les mers approfondissent sans cesse leur lit ; en conséquence, leur niveau s’abaisse, leur surface se rétrécit, la terre ferme apparaît et s’élève ; mais, aussitôt, les eaux pluviales s’abattent sur elle, l’usent, la déchirent, la découpent en vallées que dominent les montagnes, tandis qu’un dernier effort de la chaleur fait surgir les volcans. Les montagnes les plus hautes ont fait jadis partie de plaines submergées ; les eaux courantes qui les sillonnent de toutes parts portent leurs matériaux dans le bassin des mers, d’où ils sont rejetés sur quelque côte ; de là un déplacement constant de l’Océan qui a peut-être déjà fait plusieurs fois le tour du globe. Cette transposition ne peut se faire sans que le centre de gravité, et peut-être même l’axe de rotation de la Terre, ne se déplacent, ce qui ne peut manquer de modifier les différents climats. « Le temps, s’écrie Cuvier après avoir exposé ce système, est un facteur nécessaire de toutes ces choses, le temps sans bornes, qui joue un si grand rôle dans la religion des Mages et sur lequel M. de Lamarck se repose pour calmer ses propres doutes et répondre aux objections de ses lecteurs. »

La Lune, par son action sur les mers, est donc la principale ouvrière des transformations du globe. Les croyances populaires sont-elles de simples illu-