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— Alors, nous trouverons des balles, venez par ici.

Pour quelqu’un qui n’avait pas l’habitude du feu, Courbet, il faut le reconnaître, avait en somme une attitude très calme ; il n’eût pas fallu le pousser beaucoup pour qu’il plaisantât, il n’avait pas même laissé éteindre sa pipe.

Effectivement, les Prussiens avaient tiré, pas bien loin de Courbet, mais un peu plus à droite, sur un de nos camarades qui nourrissait un lapin — une provision vivante d’au moins soixante francs à cette période du siège — et qui tous les soirs risquait d’attraper des balles pour aller dans un champ en vue des Prussiens déterrer une betterave pour son lapin.

Nous allons vers les murs du moulin, il était comme criblé de la petite vérole, mais pas de ce jour-là, et, nous avions beau chercher avec Courbet, nous ne trouvions rien. Ça lui aurait fait tant de plaisir, pourtant, de ramasser sa balle.

Pendant qu’il soufflait comme un phoque en fléchissant sur le ventre pour écarter les mauvaises herbes au pied de la muraille, je me relevai et lui remis une balle, puis, au bout d’une minute une autre balle. C’était bel et bien des balles ennemies, de vraies balles Dreysse aplaties comme des boutons de plomb.

Courbet les prend dans sa main, les examine, les soupèse, et son œil d’éléphant les caresse avec sollicitude. L’aventure était complète, Courbet en emportait les preuves palpables.

Ce soir-là, retenu par mon service, je ne pus aller chez Laveur et n’eus pas la joie d’entendre le maître-peintre raconter son expédition.

Cela valut peut-être mieux, car je n’aurais probablement pas pu m’empêcher de sourire : les balles que j’avais remises à Courbet étaient bien effectivement des balles tirées par de vrais Prussiens, mais pas tirées ce jour-là, j’en avais une provision et, au bon moment, j’avais sorti ces deux de ma poche.

Que l’ombre du grand artiste me pardonne en faveur de mon admiration pour ses belles œuvres, mon but n’était pas de le mystifier, mais uniquement de lui faire plaisir.


VICTIME DE L’EAU-DE-VIE.





Le cas était intéressant.

La malade occupait le numéro 9, salle Sainte-Anne.

Il s’agissait de lui transpercer la poitrine dans la région pulmonaire comme avec un coup d’épée, pour en extraire le liquide morbide qui la tuait par suffocation.

Le chef de service l’avait prise pour sujet de conférence. Simple agrégé à cette époque, il n’était là qu’en qualité de suppléant. Nous mêmes n’étions qu’étudiant, mais nous sentions déjà que c’était un maître, et aujourd’hui en effet il est