Page:Reymond - Bramante et l’Architecture italienne au XVIe siècle, Laurens.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
BRAMANTE

Il restait à Venise un pas à faire pour passer du style de la première Renaissance au vrai style du xvie siècle, au style de Bramante qu’elle ne connaissait pas encore. C’était là une épreuve redoutable, car si l’on conçoit sans peine que Venise ait pu s’assimiler et plier à ses fantaisies décoratives le charmant et léger style florentin du xve siècle, on pouvait se demander quel effet produirait l’art plus sobre du xvie siècle, et l’on pouvait craindre que les caractères de gravité et de puissance qu’il avait pris à Rome ne parussent à Venise de la froideur et de la lourdeur.

Grâce au génie d’un très grand artiste, le plus grand après Bramante et Michel-Ange, cet art du xvie siècle créa au contraire les plus magnifiques chefs-d’œuvre de l’art vénitien. C’est Jacopo Sansovino qui, après le sac de Rome, l’apporte à Venise. Sansovino a toute la science des successeurs de Bramante, mais il n’est pas l’esclave de leurs formules. Sansovino, qui était un sculpteur, comprit qu’à Venise l’aspect décoratif devait tout primer, il sut conserver le décor comme un des éléments essentiels de son art et lui subordonner la rigueur des principes. Aussi, si quelques critiques ont pu blâmer certains détails de ses œuvres et y montrer l’inobservance de prétendues règles d’architecture, il n’est personne qui, livré à ses propres impressions, n’en ait subi profondément le charme, et dans son cœur ne classe les œuvres de Sansovino au nombre des grandes merveilles de l’art.

Sansovino n’est pas arrivé du premier coup à cette perfection, à cette heureuse fusion du style romain et du