Page:Ribot - La vie inconsciente et les mouvements, 1914.djvu/140

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La faculté d’abstraire, acquise par l’homme a été une arme à deux tranchants[1]. »

Nous pouvons imaginer un mode de connaissance (dont la conscience humaine est totalement incapable en raison de sa constitution) qui se représenterait tous les événements grands et petits dans leurs rapports multiples, — analogue à l’omniscience que les théologiens attribuent à Dieu. Cette forme de pensée, étrangère, par définition, à tout procédé d’abstraction, serait incontestablement supérieure à la nôtre. Sans insister sur cette fiction et pour rester dans l’expérience humaine, si aux esprits abstraits (les mathématiciens, les métaphysiciens, etc.), on compare les esprits concrets (les observateurs, les peintres, les gens d’affaire et en général les esprits dits « positifs »), on verra qu’il n’y a aucune raison — sinon des préjugés philosophiques — pour déclarer que les derniers sont inférieurs. Le médecin qui traite tous ses malades d’après les préceptes généraux, négligeant les variétés individuelles ; le maître qui applique la même pédagogie à tous ses élèves, sans tenir

  1. Le Sens de l’histoire, trad. Jankélévitch., p. 283 et suiv. (F. Alcan.)