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professeurs, un foyer d’activité intellectelle et scientifique, brillant d’un éclat discret et qui ne risquait d’allumer aucun incendie, mais qui n’avait rien à envier aux autres centres d’études de l’Angleterre et du continent.

Glascow vit les premiers essais de spéculation indépendante. Là enseignait, vers 1727, Gershom Carmichaël, né à Londres (1672) pendant l’exil de son père, covenantaire enthousiaste. Lui-même était d’humeur ardente et quelque peu querelleuse, patriote dévoué d’ailleurs et toujours prêt à soutenir de sa bourse la cause presbytérienne contre les attaques des « papistes ». Son Introduction à la logique contient une étude déjà intéressante sur nos différentes classes du jugement et sur le fondement du syllogisme. Sa métaphysique a ce caractère original qu’il repousse les preuves de l’existence de Dieu présentées par Descartes et n’accepte que les preuves à posteriori tirées du spectacle du monde. Mais il rend surtout à la philosophie écossaise le service signalé de traduire Puffendorf et d’y joindre des commentaires personnels avec des extraits de Grotius[1]. Par là, l’idée d’un droit naturel, fondé sur la constitution de l’âme et de la société humaines, commence à se répandre dans les esprits ; il est vrai que, au lieu de considérer le droit dérivé de la nature des choses comme antérieur à la volonté divine, il y voit l’expression de cette volonté même ; c’était néanmoins un premier effort pour sortir de l’arbitraire en fait de morale et son eudémonisme théologique préparait l’eudémonisme pur des philosophes postérieurs.

Hutcheson, qui avait déjà professé à Dublin, lui succéda en 1729. C’est un esprit déjà plus libre. Les persécutions dont fut victime sous ses yeux son maitre et collègue Simson, les vexations qu’il eut à subir lui-même de la part des orthodoxes lui inspirèrent la haine des théologies étroites et l’affranchirent des superstitions littérales. Sans cesser d’être un croyant, il contribua pour une part considérable à rendre ses compatriotes indifférents aux accessoires du culte et tolérants en matière de dogme. La science de l’homme lui doit deux choses ; une tentative de psychologie expérimentale, un essai d’esthétique et de politique rationnelles. Nous ne parlerons pas de sa métaphysique, simple reproduction de la théologie du xvie siècle.

Le propre des Écossais comme psychologues est d’oublier ou de méconnaître les divisions antérieurement acceptées et, dans leur zèle quelque peu naïf à enregistrer les phénomènes intérieurs

  1. Voir sur Puffendorf et Grotius le bel ouvrage de M. Janet sur l’ « Histoire de la politique dans ses rapports avec la morale ».