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du bonheur, des autres et à nous attrister de leurs souffrances cette perception n’a rien de sensible nous pouvons voir des spectacles affreux sans en être émus s’ils ne sont pas réels, et défaillir à la seule pensée d’un malheur qui menace l’un de nos proches. 3o  les perceptions du sens moral, très différentes de celles-là ; nous avons un discernement natif de la vertu et du vice, qu’il ne faut pas confondre avec nos émotions bienveillantes et affectueuses, 4o  les perceptions du sens de l’honneur, qui nous font trouver du plaisir dans l’approbation et la reconnaissance d’autrui. Il y a naturellement cinq classes de désirs correspondant à ces classes de perceptions. Puis ces désirs primaires se combinent en des ensembles variés pour former les désirs secondaires et dérivés, par exemple le désir de la fortune et du pouvoir, que nous recherchons comme des moyens de satisfaire les autres désirs. L’association des idées influe grandement sur nos penchants primaires et secondaires et spécialement sur notre sens de la beauté. Des choses indifférentes en elles-mêmes deviennent ainsi, quand l’idée en a été liée à celle des choses aimables ou détestées, les objets de notre faveur ou de notre aversion. De là l’importance des manières, des attitudes, des costumes, du mobilier, de l’équipage, des divertissements. De là les sentiments que nous éprouvons quand nous nous promenons sous de grands arbres, à l’abri desquels nous avons attaché l’idée de la retraite solitaire, de la vie pensive et mélancolique.

Inutile d’insister sur les lacunes, les superfétations, les incohérences de cette psychologie. L’inexpérience de l’auteur n’éclate que trop dans cette tentative et les résultats en paraissent minces quand on les compare à ceux qu’un siècle et demi d’investigation ont accumulés entre nos mains ; mais l’intérêt historique en est considérable il réside précisément en ce que, toute ambition systématique mise de côté, Hutcheson décrit les phénomènes psychiques tels qu’il les voit, recueillant ainsi avec une sorte de candeur et de désintéressement les matériaux d’une synthèse à venir. Ila pleine conscience de commencer quelque chose comme une histoire naturelle de l’âme ; ses ouvrages et ses contemporains les mieux placés pour connaître sa pensée intime nous l’attestent également.

Son esthétique et sa morale sont, comme sa psychologie, fondées sur l’expérience, et ont les mêmes tendances indécises vers des conclusions spiritualistes, contraires à la philosophie de la sensation, tendances heureuses en somme. Locke reconnaissait le caractère primitif des idées simples dues aux sens ; mais il essayait d’expliquer toutes les autres idées par une sorte de fabrication qu’en ferait