Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/639

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mutandis, à la science sociale, conduit à des résultats inacceptables, contredits par tout ce que nous savons, à raison de la connaissance infiniment plus intime qu’il nous est donné d’avoir des faits sociaux que des faits vitaux. Par analogie (car c’est là toute la portée de cet article, nous ne lui en attribuons pas d’autres) le darwinisme naturel lui-même doit nous paraître insuffisant, malgré la part importante de vérité que nous ne lui contestons pas. Peut-être, après cette conclusion négative relative à son insuffisance, serait-il prudent de nous arrêter. Mais, de tout ce qui précède, il se dégage en outre une vue plus téméraire qu’il nous reste à indiquer, si le lecteur veut bien nous prêter son indulgence.

Puisque Darwin, avons-nous dit, faisait de la sociologie sans le savoir, il est bien fâcheux qu’au lieu de s’inspirer seulement des côtés industriels et économiques de la vie sociale, il n’ait pas eu égard à leurs côtés artistiques, juridiques ou religieux. Est-ce à une fabrique surtout, ou n’est-ce pas plutôt à une œuvre d’art, à un régiment, à une congrégation religieuse que ressemble un être vivant ? Y a-t-il rien notamment de plus propre à rappeler et à expliquer l’admirable solidarité de toutes les parties d’un organisme, la subordination hiérarchique et la conspiration unanime de toutes ses cellules, que l’esprit d’abnégation et l’unanimité de foi (trompeuse ou non, peu importe) dont sont pénétrés tous les moines d’une abbaye du moyen-âge, ou tous les janissaires d’un corps d’armée turc, au xvie siècle ? Or, ici, est-ce l’intérêt personnel qui domine ? Non évidemment. Pourquoi donc là ? Le moine, il est vrai, prie et se lacère en vue de félicités posthumes ; le janissaire, pour une fin analogue, combat et se fait tuer. Mais ce besoin d’une immortalité spéciale à laquelle ils s’immolent, c’est Jésus et Mahomet qui l’ont fait naître en eux, encore plus que satisfait. Toute l’explication de leur vie est, au fond, dans l’idéal puissant qu’on leur a fait luire et qui a subjugué leurs cœurs ; toute leur essence est dans leur credo. Toutefois, le cercle périodique, immuable en ses traditions fixes, où leur activité renfermée tourne sans relâche, paraît se prêter à un genre moins élevé d’interprétation ; et, pour un observateur de la lune, qui verrait tous les jours des provisions entrer aux mêmes heures dans les cuisines du couvent, puis les aliments se consommer dans les réfectoires, ou bien, de temps en temps, de nouveaux pères venir chanter au chœur et d’anciens pères disparaître, et enfin, de loin en loin, une colonie de religieux se détacher pour aller fonder à quelque distance une maison du même ordre pour un observateur aussi mal renseigné, tout s’expliquerait ou semblerait s’expliquer suffisamment par ce double besoin de nutrition et de reproduction, en un seul mot, de