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A. FOUILLÉE. — LE NÉO-KANTISME EN FRANCE

borne à poser l’homme comme un être intelligent, ce que personne d’ailleurs ne lui contestera.

Personne ne lui contestera non plus que l’homme, au moins celui qui s’en tient aux croyances instinctives, se croit libre ; et cette « liberté apparente » consiste, ajoute M. Renouvier, en ce que dans la pratique se pose sans cesse le dilemme suivant : « faire ou ne pas faire cela, » ce qui suppose que l’homme s’attribue un double pouvoir. — Rien de mieux ; les déterministes l’accorderont très volontiers. Ils ajouteront seulement que cette apparence de liberté n’est pas distincte de l’intelligence même et du pouvoir de réfléchir précédemment admis par M. Renouvier. Un être intelligent, en effet, est capable de concevoir plusieurs manières d’agir, comme il est capable de concevoir le blanc et le noir, et il n’a pas même besoin de s’attribuer la liberté proprement dite pour admettre un « choix possible », car ce choix peut résulter précisément de l’intelligence même et du jeu de ses lois. Le choix n’est incompatible qu’avec le fatalisme oriental, qui suppose que les effets se produisent sans causes ou que notre intelligence ne fait pas partie de ces causes mêmes ; mais le déterminisme scientifique soutient que les effets ont des causes, parmi lesquelles se trouvent nos idées, nos désirs, nos actions ; il soutient aussi que nous ne pouvons prévoir l’avenir indépendamment de ces idées, de ces désirs, de ces actions ; il conclut donc à la nécessité pratique de la réflexion avant l’action, c’est-à-dire du choix intellectuel, que nous nommons plus ou moins proprement liberté, et qui sera un des facteurs de l’action même. Ainsi, au fond, les deux conditions de la moralité demandées par M. Renouvier, telles du moins qu’il les définit, se réduisent pour le psychologue à une seule : l’intelligence, avec la diversité de ses idées et l’efficacité naturelle de l’idée dominante sur la conduite.

Maintenant, comment tirer de là la moralité proprement dite, et surtout l’impératif catégorique ? — C’est une déduction qu’on peut mettre tout philosophe au défi d’opérer. Dans le fait, M. Renouvier ne l’opère qu’au moyen d’un paralogisme qui saute aux yeux de tout lecteur, et où l’on abuse de l’ambiguïté des mots devoir, bien, bien moral. « Le jugement réfléchi d’un côté, dit-il, la liberté apparente ou que l’on croit être, de l’autre, s’appliquent à des phénomènes de sensibilité, d’entendement et de passion qui… aboutissent toujours, à l’égard d’un acte, quel qu’il puisse être, à présenter une certaine fin désirable à atteindre. Cette fin est toujours représentée comme un bien pour l’agent, et l’agent ne se détermine jamais, en fait, que pour obtenir ce qu’il pense être son bien. On doit dire, par conséquent, qu’il est tenu d’agir en vue du bien, généralement parlant. » Ainsi