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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/302

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Aussi la perfection relative des éléments n’est due qu’à la longue répétition des tâtonnements[1].

On est encore confirmé dans cette erreur commune parce que, de nos jours, la méthode analytique en mathématiques est allégée de la synthèse, et qu’on ne reconnaît plus le lien nécessaire des deux marches de Platon. Il faut voir, comme nous l’avons dit, à quelles conditions la seconde peut être évitée.

Soit une suite de propositions :

.

telles que, si l’une quelconque est vraie (nécessaire), la suivante le soit aussi. De la vérité de la dernière, L, peut-on conclure la vérité de la première. A ? Nullement. Il faut encore que chacune des relations intermédiaires soit réciproque, c’est-à-dire que, si une quelconque des propositions est vraie, la précédente le soit également.

Or l’analyse moderne consiste essentiellement à ne procéder que suivant des relations réciproques. Cela est facilité par l’usage de l’algorithme algébrique ; mais on ne doit pas perdre de vue que la connaissance de cette méthode moderne réside précisément dans la distinction des transformations permises et des transformations non permises, de celles par exemple qui, dans un problème, supprimeraient ou introduiraient de nouvelles solutions ; et il faut ajouter que cette connaissance est en fait assez complexe.

En géométrie, tant qu’il n’y a pas d’algorithmes, des règles précises ne peuvent être posées à priori sur la réversibilité des conséquences : ce n’est que par l’exercice et l’habitude que l’on arrive à conduire la marche analytique de manière à pouvoir, sans obstacle, la parcourir en sens contraire. À la vérité, rien n’empêcherait de vérifier à chaque pas en avant, de A à B, de B à C, etc., si la réciprocité de relation a lieu : c’est ce que recommande Duhamel, dans son ouvrage Des méthodes dans les sciences du raisonnement, où il reproche aux anciens de n’avoir pas bien compris ce que doit être l’analyse.

Mais c’est là au contraire ce que je me figure comme observé naturellement jusqu’au travail de Platon, et qui ne voit les inconvénients de cette précaution ? C’est arrêter à chaque instant l’essor de la pensée, briser le fil qui la conduit, la détourner du but vers lequel elle tend, pour la ramener vers l’hypothèse incertaine dont elle est partie.

  1. L’ensemble des nouveaux travaux qui constituent ce qu'on appelle la géométrie non euclidienne est une preuve frappante de notre thèse ; car leur caractère consiste, au fond, à introduire la méthode analytique dans cette partie de la science qui n’avait jamais subi une pareille épreuve.