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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

qui ne puisse être de la sorte ballottée entre les contraires, pourvu qu’on s’y prenne avec quelque dextérité. Seulement le choc des opinions contraires n’est, d’après le profond disciple de Kant, qu’un moment dans le développement des choses et des systèmes ; la contradiction est la vie même de l’esprit, mais à une condition : c’est qu’elle ne soit pas définitive et que l’esprit ne s’y arrête point ; une synthèse supérieure doit toujours succéder à l’analyse qui suscite les thèses opposées. Et en effet, du sein de ces contradictions accumulées, une série de doctrines, c’est-à-dire d’affirmations positives, n’a pas cessé de se faire jour, et à chaque période de l’histoire un corps de pareilles affirmations doit nécessairement s’organiser. Il en est donc probablement ainsi en ce qui concerne la science des premiers principes ; la contradiction peut y avoir un rôle utile à titre d’aiguillon et d’instrument de réforme ; elle ne saurait en être considérée comme l’état définitif, et la philosophie ne restera, pas plus que les autres sciences, suspendue sur une antinomie à laquelle il n’y aurait pas de solution,

Cette remarque nous encourage à examiner de plus près les principaux points au sujet desquels ont été conçues des spéculations négatives, avec l’espérance de découvrir par où l’impasse apparente offre une issue. Il n’est pas question d’arrêter l’esprit humain et de trouver des affirmations auxquelles il doive éternellement se reposer ; mais ce sera déjà quelque chose que de lui ouvrir une nouvelle carrière et de l’inviter à parcourir une étape de plus.

Il y a ici trois choses à considérer : l’existence des corps, l’existence de l’esprit et l’existence de la société. Hume n’a pas touché cette dernière question ; mais elle est connexe aux deux premières, au sujet desquelles Hume croit que l’esprit humain se trouve avec lui-même en contradiction d’une manière irrémédiable,

1o Hume distingue touchant l’existence du monde extérieur deux opinions, l’une vulgaire, l’autre philosophique. La vulgaire ne voit pas de différence entre les sensations et leurs objets ; la difficulté étant d’expliquer comment les objets subsistent quand nous cessons de les percevoir et ont une existence indépendante des sensations, la grande majorité des hommes en est venue à effacer les différences qu’il y a entre les perceptions successives et à les considérer en raison de leurs ressemblances comme identiques. Alors qu’elles ne sont les mêmes que spécifiquement, on les conçoit comme étant les mêmes numériquement. Un seul ensemble de sensations permanentes et cohérentes subsistant avec ses caractères essentiels en dépit des éclipses partielles et momentanées qui s’y produisent pour nous, telle est, d’après Hume, la conception la plus