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ANALYSES. — B. PEREZ. L’éducation dès le berceau.

C’est dans le même sens que M. Perez, qui n’a aucun goût pour l’ascétisme, souhaite pour la vue, pour l’ouïe, pour le toucher de l’enfant des impressions douces et agréables, et cela non seulement à raison du bien-être immédiat, mais aussi pour le former de bonne heure aux émotions saines et bonnes. « Quel avantage, dit-il délicatement, que de pouvoir chanter à dix, quinze ou vingt ans les chansons dont on fut bercé par sa mère et dont chaque note est un lambeau de notre âme passée, de notre beau temps d’autrefois, qui nous revient ainsi avec toutes ses salutaires réminiscences ! » (p. 25.)

Ajoutons qu’avec un peu d’effort des parents prévenants peuvent, sans aller d’ailleurs jusqu’à la gâterie, maintenir leurs enfants dans une atmosphère tempérée d’impressions sensibles agréables. Ils y seront aidés par la nature, leur complice en cette affaire : car la nature, dans ces petits êtres qui s’éveillent à la conscience, multiplie à profusion les sources de plaisir. Elle n’est pas aussi dure à l’enfant que persiste à le croire M. Perez : et nous ne désespérons pas de lui prouver un jour, que dans l’acquisition des sensations de la vue notamment, elle procède avec des ménagements infinis, avec des lenteurs de progression qui écartent presque toute douleur.

On a déjà fait observer à M. Perez[1] que l’éducation du sens musculaire aurait dû trouver place dans ce premier chapitre, à côté de l’éducation du sens thermique et des autres sens ; mais il serait trop long d’insister sur les défauts de méthode que l’ouvrage présente en maint endroit.


Chapitres II et III. Culture des émotions intellectuelles.


Sous ce titre, M. Perez considère successivement des choses assez différentes, la curiosité, la vérité (j’aimerais mieux dire la véracité, le sens naturaliste, la sensibilité d’imagination, les jeux qui se rattacheraient plus logiquement, il semble, à l’activité physique, la peur, enfin le sens esthétique.

Le défaut général, disons-le tout de suite, de cette série de chapitres d’ailleurs si riches en fines observations el en conseils judicieux, c’est que l’auteur interdit trop rigoureusement à l’enfant tout ce qui dans sa culture morale ou même dans ses jeux peut déjà l’initier, le préparer à la véritable vie humaine. Comme Rousseau, il ne veut pas qu’on excite de bonne heure le sens religieux ; comme Hippolyte Rigault, il critique les jouets militaires. Pour des raisons analogues, il est le premier peut-être à condamner la poupée, cet inoffensif amusement, qui ne méritait pas les foudres d’un aussi impitoyable réquisitoire. Ce qui guide M. Perez dans les interdictions qu’il prononce, c’est l’idée qu’il faut respecter l’enfance dans l’enfant ; que le petit garçon qui joue au soldat, la petite fille qui fait la maman avec sa poupée, l’enfant qui parle de Dieu, ne peuvent que défigurer et parodier, pour

  1. Voyez la Rassegna critica di opere philosophische, scientifiche e littararie, dirigée par le professeur Angiulli, Naples, 1881, n° 1, p, 36.