Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
ANALYSES. — BENNO ERDMANN. Kant’s Kriticismus.

Quel est maintenant le rapport du moi en soi avec le moi transcendantal ? Kant, manifestement, le conçoit par analogie avec le rapport de l’objet en soi à l’objet transcendantal. Notons toutefois la différence : il passait de la chose en soi à l’objet transcendantal, et de là à la chose en général. Maintenant il va du moi en soi au moi logique, et de là au moi transcendantal. Le moi de l’aperception pure est élevé au rôle d’un « quelque chose » absolu par les mêmes procédés qui ont servi à ériger la chose en soi en chose en général. En effet, la conscience transcendantale n’est que la représentation du moi ; ce moi est donc la simple forme de la conscience, forme qui a pour rôle non seulement d’accompagner toute représentation, mais de l’élever au rang de connaissance, Donc en elle pas de multiple : et le seul moyen de lui laisser son absolue simplicité, c’est de la concevoir comme un « quelque chose » <n général. Ses attributs dès lors ne pourraient être que les catégories pures. C’est là précisément que les difficultés commencent. Car l’aperception sert de base à la possibilité des catégories (fait qui n’avait pas son analogue pour la chose en soi) ; et, d’autre part, les catégories rendent possible l’aperception, puisqu’elles s’y appliquent. Ainsi l’aperception du moi se présuppose elle-même.

D’autres difficultés apparaissent dès qu’on examine le rapport du moi logique avec la catégorie de la réalité et celle de l’existence. Pour la première d’abord le jugement : Je pense, expression générale de l’aperception, doit être pris problématiquement, comme possible. Mais d’autre part, de même que le Cogito ergo sum est tautologique, de même la simplicité qui est dans le « Je pense » (en sorte qu’on peut aussi bien dire : Je suis simple) implique la réalité, et Je pense devient dès lors la formule pure de toute mon expérience en général, Pour la catégorie de l’existence, la difficulté est plus grande encore. D’un côté, dans le jugement « Je suis », il doit s’agir de la catégorie pure, et le jugement n’est que problématique, car sans cela il ne serait plus qu’une perception, et le moi logique perdrait son caractère à priori. Mais, d’un autre côté, dans la critique du 4e paralogisme, allant contre tout ce qu’il a dit, Kant, au lieu de prendre l’existence du moi comme une pure conception logique, en fait le corrélatif très réel de toute existence d’où toute autre doit être d’abord conclue. « Penser tout simplement une chose, écrit-il, c’est dire qu’elle est quelque chose. » Ici encore, donc, l’être est pensé par opposition aux pures catégories. Impossible d’ailleurs qu’il en soit autrement : penser une chose à l’aide des catégories pures, comme on pense les objets de pensée pure, c’est se refuser tout moyen de distinguer en elle la possibilité d’avec la réalité ; ajoutez qu’en posant leur existence (logiquement), on ne fait que penser une perception possible, et que seule la perception elle-même est existante. La catégorie pure, on le voit, serait ainsi de nulle signification. Donc « Je suis » doit impliquer l’existence liée empiriquement à la perception : et du coup nous voilà loin du moi logique. C’est qu’il y à bien là en effet une « contradiction de Kant » (Selbstwiderspruch) ;