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BIBLIOGRAPHIES. — G. PIOLA. Forza e materia.

une affirmation volontaire. C’est ainsi que nous affirmons le moi en soi, que nous ne pouvons nous représenter. Le non-moi est également transcendant. Le temps et l’espace le sont aussi, mais ils se manifestent à nous comme durée et étendue ; à ce point de vue, ils sont nécessairement finis,

L’individualité est un autre transcendant étudié aussi par M. Piola. Le mot individualité signifie indivisibilité ; il désigne une unité que nous ne pouvons défaire, parce qu’elle n’a pas été faite par nous ; elle est au contraire l’unité qui fait, qui agit en nous, qui produit l’unité du composé, L’individualité est le caractère du sujet en soi, caractère par lequel un sujet pris indépendamment de ses actes se distingue d’un autre sujet. L’individualité ainsi comprise ne nous est pas connue. Comment peut-elle être produite ? Où mettre le principium individuationis ? Fidèle à son principe, M. Piola place le principe dans un autre ordre de faits. Le principe cherché sera, lui aussi, un transcendant, mais il sera le transcendant du transcendant ; il est au moi en soi ce que le moi en soi est à ses actions. Nous arrivons ainsi à Dieu, cause des causes métaphysiques, cause supra-transcendante du transcendant. Mais on ne peut attribuer à ce principe les qualités de l’effet, et M. Piola admet avec logique, une fois son système admis (système que je ne discuterai pas ici, mais qui me paraît reposer sur une erreur psychologique), M. Piola, dis-je, admet que le principe de l’individuation ne doit pas être compris comme un individu. Dieu, principe de la cause, ne peut pas même, à proprement parler, être conçu comme cause ; de plus on ne peut admettre qu’il présente cette variété de phénomènes, d’actes, nécessaires à la conscience.

Avec cette notion de Dieu, M. Piola combat les objections qu’on adresse ordinairement à la croyance en Dieu telle qu’elle est communément acceptée. Ce qu’il y a de curieux, c’est que, après avoir émis une théorie qui détruit la religion chrétienne, laquelle prête bien à Dieu des sentiments, des idées et par suite une personnalité et une conscience, il semble ne pas s’en apercevoir ou ne pas en tenir compte, combat ceux qui n’ont songé qu’à attaquer le Dieu dont il ne veut pas et essaye d’interpréter et de défendre le dogme de la trinité. « Cette importante vérité que Dieu n’est pas comme le moi humain et que le concept que nous pouvons nous faire de lui doit être une négation de celui que nous nous faisons du sujet que nous sommes, est le sens philosophique du dogme chrétien de la trinité de Dieu, » Vient ensuite une étude sur la création. On ne peut logiquement se faire une idée de l’action de Dieu que par la négation de ce qui fait le propre de l’action humaine, Or l’action humaine est un changement conditionné par le temps et l’espace ; l’action divine doit être conçue comme affranchie de ces conditions. Cette action, origine non des phénomènes, mais des êtres, du transcendant, c’est la création.

Je n’insisterai pas davantage sur cette métaphysique ; il ne serait pas difficile d’en relever les difficultés et de montrer combien peu elle est