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portionnelle, relative à la somme de leurs autres désirs. Il en résultera que chacune d’elles sera également disposée à sacrifier, pour se passer cette fantaisie, la même fraction maxima de son revenu total, soit par exemple 1,000 francs. Pourquoi ? Parce que, entre tous les désirs divers dont la satisfaction pourrait être obtenue au moyen de cette somme et qui doivent être sacrifiés à l’un d’entre eux par l’emploi de cette somme, le plus intense, mais de bien peu, est encore le désir satisfait par le produit en question. Mais si le prix était plus fort, 1,100 francs, je suppose, des désirs plus intenses entreraient en ligne et l’emporteraient sur celui-ci. Ce prix s’impose donc par suite de la lutte interne qui a lieu ainsi dans le cœur de chaque acheteur intentionnel. Dès lors, au point de vue de la fixation du prix, qu’importera le nombre de ces personnes concurrentes ? Qu’il y en ait cent ou un million, le fabricant, monopoleur par hypothèse, instruit de l’égalité de leur fortune et de légale proportion de leurs désirs, ajoutons de leur croyance, sera averti d’avoir à coter son produit mille francs, ni plus ni moins. Il produira plus ou moins suivant le nombre prévu des acheteurs, mais le prix sera le même.

La concurrence des acheteurs ne jouerait donc aucun rôle dans ce cas. Effectivement, par elle-même, elle n’agit en rien sur les prix, malgré le préjugé contraire. Le nombre de ceux qui ont envie d’un objet n’influe qu’indirectement sur son prix en élargissant l’écart des fortunes les plus hautes et les plus basses, des désirs les plus intenses et les plus faibles, et aussi en surexcitant l’esprit de rivalité et d’émulation. Si petit que soit un État, quand l’inégalité des conditions y est très grande, les objets rares y sont cotés à des prix extravagants ; et si vaste que soit un empire, lorsque les conditions s’y nivellent, l’extravagance des prix exceptionnels s’y atténue. Elle pourait servir à mesurer assez bien le progrès de ce nivellement. Si de vieilles reliures se payent 2,000, 3,000, 4,000 francs, cela prouve, non qu’il y a une foule de bibliomanes qui se les disputent, mais bien qu’il y a quelques bibliomanes richissimes (peut-être deux seulement), qui auraient été embarrassés pour satisfaire avec la même somme, s’ils ne l’avaient pas dépensée ainsi, une fantaisie aussi chère ou plus chère à leur cœur que celle-ci, toute légère et frivole qu’elle est. Avant de se décider, l’amateur qui a enchéri a vu définir rapidement devant ses yeux l’image de ses diverses fantaisies à satisfaire, il les a pesées à son insu dans les balances ténues et invisibles de sa conscience, et il a trouvé que la velléité de posséder cette curiosité à peine artistique était encore la plus pesante.

Si, comme croit le démontrer M. Paul Leroy Beaulieu, notre évo-