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G. TARDE. — la psychologie en économie politique

libre entre les fabricants, agirait sur les prix pour les abaisser. Mais, dans cette hypothèse même, la théorie ci-dessus de la valeur — si théorie il y a — serait-elle inapplicable en ce qu’elle a d’essentiel, et faut-il penser que l’abaissement du prix descendrait jusqu’à une limite extrême marquée par le coût de fabrication, ou peu s’en faut ? Non. D’abord puisqu’on est en goût de suppositions, pourquoi n’en pas faire une dernière, et non la moins admissible, à savoir que les producteurs s’entendront dans leur intérêt commun pour se retenir tous ensemble sur la pente d’un abaissement aussi désastreux ? Alors s’établirait une sorte de monopole collectif, et nous retomberions dans le cas précité, c’est-à-dire dans le cas normal, celui où le producteur fixe lui-même le prix de son produit conformément à la loi de son bénéfice le plus grand. Au lieu d’un seul producteur, il y en aurait 10, 400, 1,000, qui se demanderaient jusqu’à quel point, vu le plus ou moins de force des goûts du public, l’accroissement du nombre des achats, obtenu par la diminution du prix des articles vendus, procurerait une augmentation de bénéfice net. Et, de concert, ils arrêteraient le prix à cette limite.

Cependant, admettons tout ce qu’on voudra ; supposons que cet accord n’ait point lieu. Jusqu’où descendra de lui-même le prix du produit ? Non pas jusqu’au coût de production, mais jusqu’au point où le bénéfice des producteurs serait moindre (autrement dit, moins désiré) que les bénéfices qu’ils pourraient faire en se livrant à d’autres genres de fabrication. — Ici, la concurrence des désirs, fondement du prix, aurait lieu dans le cœur des producteurs et non des consommateurs. Mais, à cela près, l’explication est la même.

Quoique, en général, avons-nous dit, le prix soit fixé par le fabricant, qui est toujours plus ou moins monopoleur, il arrive parfois que, forcé de vendre à bref délai et de liquider sa situation, un commerçant soit à la merci du public. Le consommateur alors fait son prix. Mais il le fait en se conformant toujours, sans d’ailleurs s’en douter, à ma manière de voir. Il offre le prix le plus bas que le commerçant puisse préférer à la non-vente, c’est-à-dire un prix tel que celui-ci cesserait, à un prix tant soit peu inférieur, de désirer vendre.

C’est en vérité extrêmement simple, et j’ai presque honte d’avoir à développer des idées si tangibles. Mais elles me paraissent avoir l’avantage d’éclaircir et de simplifier un sujet très obscur ou très obscurci.

Cette détermination du prix stable, de la véritable valeur des choses, par des pesées internes et inaperçues de quantités psychologiques, est si bien dans la nature des choses que, dans l’hypothèse