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ANALYSES. — MILOSLAWSKY. Tipy filosofskoi mysli.

qu’il oubliait toujours le sien. De même, dit-il, ceux qui ne veulent point considérer la philosophie comme une science à part oublient que le fait même de l’existence de notre savoir peut être l’objet de recherches spéciales, et que les phénomènes de l’entendement, leurs lois, leur développement peuvent constituer une science à part, qui ne peut être précisément autre chose que la philosophie. Mais personne, ajoute-t-il, ne possède la connaissance de ces lois par intuition, et personne ne peut les créer de sa propre inspiration ni bâtir des systèmes à sa guise. Ceux qui l’ont osé ont mis la métaphysique dans des impasses terribles ; il est fâcheux que la philosophie, oubliant les conseils de Kant, ait tenté de résoudre un problème insoluble ; c’est aussi une des raisons qui ont ramené les esprits modernes vers cet illustre penseur. L’auteur russe ne nous dit pas cependant quels sont ces problèmes insolubles ; il effleure à peine ces questions importantes.

Après s’être ainsi écarté du but principal de son ouvrage, Miloslawski revient dans le chapitre XIII à la caractéristique des tendances spéculatives des sciences naturelles. Il fait l’excellente remarque que ces savants modernes qui dédaignent soi-disant toute métaphysique se permettent d’empiéter sur le terrain de la philosophie, tout comme les philosophes d’autrefois empiétaient sur les droits des sciences spéciales, Les diverses spéculations naturalistes, observe-t-il, tendent toutes vers un but commun, qui est le monisme mécanique ; ce monisme repose d’un côté sur le darwinisme, de l’autre sur le principe de la conservation des forces dans la matière. Il réduit tous les phénomènes au mouvement de molécules douées de force, comme à des éléments essentiels et primitifs de toute existence. Miloslawski démontre au monisme, dans un raisonnement sec et diffus, qu’il ne convient pas de considérer la matière et la force comme bases réelles des phénomènes, mais plutôt ces derniers comme base de la force et de la matière, puisque la pensée humaine a créé ces notions abstraites par suite de la connaissance des phénomènes extérieurs ; il en suit que, la force et la matière étant des produits de la pensée, il serait déraisonnable de considérer cette dernière comme produit de la force et de la matière.

Le chapitre XIV, qui est le dernier, n’a rien de commun avec les systèmes allemands ; il est consacré à l’éclaircissement du but de la philosophie comme science spéciale. La position personnelle de l’auteur n’y est pas cependant dévoilée ; la tâche de la philosophie n’y est traitée que du point de vue méthodico-logique ; elle est triple, selon l’avis de Miloslawski La philosophie doit : 1o classer systématiquement les phénomènes de l’entendement ; 2o découvrir les principes d’union entre ces phénomènes, c’est-à-dire entre les sciences spéciales ; 3o fonder sur ces données empiriques une théorie de l’entendement humain. Les formules sont insuffisantes : la métaphysique à laquelle Miloslawski accorde une raison d’être a été complètement oubliée par lui, de même que la théorie de l’idéal. Le monde de la pensée est bien l’objet spécial