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ANALYSES. — BENNO ERDMANN. Kant's Kriticismus.

Il faut choisir : ou bien la philosophie critique est une théorie positive des sciences à priori, ou bien elle n’est que la détermination des limites de la connaissance (Grenzbestimmung). Divers penseurs ont adopté la première interprétation, mais elle n’a d’autre base que les gauches déclarations de la nouvelle préface ; en soi, l’étude minutieuse de l’œuvre critique tout entière le démontre, elle est erronée. On pourrait être tenté d’invoquer a l’appui de cette thèse le caractère rationaliste de la nouvelle Introduction. Il y est parlé, en effet, de « la possibilité de l’usage de la raison pure dans l’établissement et l’affermissement de toutes les sciences qui impliquent une connaissance spéculative à priori de leurs objets : mathématiques pures, science pure de la nature, métaphysique à titre de disposition naturelle, métaphysique comme science. » Il semble donc bien que ce soit moins la délimitation critique négative que la démonstration positive de la possibilité des trois sciences aprioriques qui constitue le fond de la recherche. Ce n’est là pourtant qu’une apparence, Toutes ces questions étaient déjà indiquées dans l’Introduction première, mais aussi subordonnées à la déduction, c’est-à-dire à la pensée critique, comme dans la nouvelle Introduction. Loin d’être atténué, le rapport avec le scepticisme est plutôt accentué : Kant se demande toujours si l’on peut « étendre avec confiance notre raison pure, ou bien s’il faut lui assigner des limites précises et déterminées. »

Veut-on maintenant une réfutation tout à fait topique ? Que l’on cherche à faire concorder la nouvelle position de la question et sa division en quatre parties avec la division même de l’ouvrage. C’est chose absolument impossible. L’esthétique et l’analytique devraient répondre à la question de la possibilité de la mathématique pure et de la science pure de la nature, et pourtant rien de sérieux n’y est changé. La dialectique correspondrait aux deux autres questions : Comment la métaphysique est-elle possible à titre de disposition naturelle ? — Comment est-elle possible à titre de science ? Or ni la marche de la démonstration, ni la tournure de l’argumentation ne trahissent pareil souci. Comment croire que, s’il eût réellement existé dans l’esprit de Kant, ce grand penseur n’eût jamais exécuté cette métaphysique systématiquement complète ? Ce qu’on a pris pour une déviation de principes et un retour au rationalisme n’est qu’un éclaircissement de la pensée primitive ; mais Kant a eu le tort de provoquer par ses gaucheries un aussi grave malentendu.

On arriverait à la même conclusion en comparant l’objet prétendu de l’esthétique et son objet véritable. Toute l’argumentation sur l’espace loin d’être une théorie de la mathématique pure (celle-ci se trouve dans la Methodenlehre, ch. I, sec. 1), n’est qu’une explication transcendantale de l’intuition à priori de l’espace.

L’attitude de Kant en face de l’idéalisme est, cette fois, d’une netteté indiscutable. L’idéalisme transcendantal, pour le fond, ressortait de l’esthétique. La seconde édition, sans en rien dire, modifie l’esthétique