Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
309
ANALYSES. — TISSOT. Philosophie naturelle.

concerne le domaine des théories scientifiques, nous ne pouvons que reconnaître à M. Tissot une réelle valeur en tant que physicien ; mais, sur le philosophe, notre jugement ne sera point aussi favorable. Ce n’est d’ailleurs pas tant l’étrangeté et la hardiesse de certaines de ses thèses qui nous laissent une impression fâcheuse, que sa singulière tendance à adapter à ses idées des croyances théologiques, à voir dans des mythes purs une divination de la vérité, rendue possible, avant les découvertes de la science, par la transmission héréditaire, fût-ce d’un monde à l’autre. On a déjà passablement abusé parfois des doctrines de l’évolution, du transformisme et de l’atavisme : mais, après les idées innées, y trouver une sorte de consécration des vérités révélées, je crois qu’il sera difficile de mieux faire.

Que M. Tissot se plaise à faire ressortir dans son atome-tourbillon la trinité substance, mouvement, forme, et qu’il la compare à la trinité catholique, cela peut paraître une simple bizarrerie ; mais qu’il voie dans ce rapprochement une preuve à l’appui de ses idées, cela, certes n’est point d’un bon augure pour la valeur de ses autres arguments, Qu’il croie à l’existence des bons et mauvais anges, libre à lui, bien entendu ; mais qu’il motive son opinion autrement que par les croyances populaires, s’il est le premier à ne voir, dans les formes qu’affectent ces croyances, que des fantaisies de la superstition. Nous nous contenterons d’un bref aperçu des thèses soutenues par notre auteur.

L’attribut psychique de l’Etre universel doit se caractériser par les mots : connaissance et liberté, comme son attribut physique est réellement caractérisé par les mots : passivité et inertie.

L’attribut physique nous apparaît comme appartenant aux atomes éternels et indestructibles, sans commencement ni fin ; mais ce fluide merveilleux, à la substance duquel nous les avons vu emprunter, n’est pas épuisé, puisqu’il est continu. Il peut y exister une autre sorte de tourbillons, ceux-là rectilignes, qui prennent naissance en s’engendrant les uns des autres, grandissent en se développant jusqu’à de certaines limites, et arrivent à grouper autour d’eux les atomes de la matière pondérable, de façon à constituer les germes des êtres organisés. Quand ces germes se développent, les tourbillons rectilignes se multiplient l’un par l’autre en restant en rapport entre eux, en sorte que l’un d’eux pourra concentrer en lui les consciences et les libertés élémentaires des autres.

Ces tourbillons rectilignes, conscients et libres, ne sont autres que les âmes ; leur liberté ne peut changer la quantité de force vive de l’univers ; mais ils n’en possèdent pas moins sur le mouvement de là matière groupée autour d’eux un pouvoir directeur qui rompt le fatal enchainement des causes mécaniques.

L’âme nait donc, mais elle ne meurt point et subsiste avec son intensité tourbillonnaire au moment de sa séparation d’avec le corps. Dans cet état, elle échappe à l’action de la matière et n’agit plus sur elle ; ce ne serait plus, à vrai dire, qu’un mouvement purement