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autre avec dédain, de ne pas nier l’existence d’un troisième, parce que la connaissance du premier est presque complète et a été obtenue par une grande perspicacité, que celle du second est très incomplète, soit d’une manière absolue, soit seulement pour le moment, et parce que relativement au troisième la tradition savante est tout à fait insoutenable. Il est commandé en outre de ne pas livrer « la science » aux mains de ces hommes suffisants qui croient que la meilleure pierre de touche pour éprouver « le nouveau » qu’ils s’imaginent pouvoir annoncer est le degré d’opposition où ces nouveautés se trouvent vis-à-vis de ce que l’homme regarde comme inattaquable en dehors de toute vue scientifique. En outre, il faut se garder de cette sottise qu’il ne peut exister de conviction et surtout de conviction sérieuse par rapport à un objet avant que « la science » en ait créé une. Enfin il est nécessaire de bien se rendre compte de cette vérité que « connaître » et « savoir » ne sont pas le vrai, le dernier but de l’existence humaine, mais seulement un moyen d’arriver à la réalisation des véritables buts de cette existence. Tout cela a l’air d’être bien clair et bien simple. Cependant l’obstination à ne pas se conformer à ces vérités est partout la cause du peu d’avancement de nos idées sur le système du monde. D’autant plus grand est le mérite de Lotze, qui en a imprégné toutes les parties de son microcosme.

Dans notre siècle, les sciences physiques sont la science par excellence ; d’un côté, elles sont notre orgueil ; d’autre part, elles sont l’origine de toute sorte de conflits avec ce qui a été regardé jusqu’ici comme la vérité et la réalité. En fait, les idées du savant moderne sur le système du monde, la conception mécanique de la nature, ont eu des commencements modestes ; leur point de départ a été des pensées et des données que l’érudition des temps passés avait jugées indignes de son attention. Les premiers fruits de la science ont été de pouvoir expliquer dans des cas simples les mouvements d’une boule qui oscille, qui roule, qui tombe. Mais il y a longtemps qu’elle a élargi son cercle ; depuis longtemps, le macrocosme, les immenses espaces célestes étaient devenus son domaine ; depuis longtemps, elle était arrivée à la conviction que des mondes tout à fait différents devaient être soumis à son empire. Et cette croyance ne régnait pas seulement parmi les adeptes des sciences physiques ; les représentants des domaines qui devaient plus tard être occupés par les sciences physiques en étaient également pénétrés et marchaient quelquefois en avant dans la voie du progrès. Résolu et énergique dans sa manière de penser, prenant au sérieux les hypothèses tacites qui étaient admises par les philosophes dans leurs représentations de la réalité, Herbart, s’avançant sur des chemins d’une hauteur vertigineuse,