Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
335
E. REHNISCH. — hermann lotze

dans un article des Annales prussiennes la méthode suivie par Lotze dans son examen des idées et des représentations qui sont au fond de notre manière de comprendre et de juger le monde et la vie. L’inexactitude de ces idées et de ces représentations qui dirigent habituellement nos réflexions sur la vie et les diverses sciences est la cause des contradictions et des difficultés dans lesquelles nous sommes enserrés et qui éveillent en nous le besoin des recherches philosophiques. Lotze s’est appliqué à appeler l’attention sur ce fait qu’il serait impossible de parler de « être », « se transformer », « agir », « souffrir », etc., avec un homme qui n’aurait pas éprouvé sur lui-même et qui ne saurait pas par l’expérience directe ce que nous entendons par ces mots. Il a exposé d’une façon claire et très attrayante ce qui peut être ainsi supposé avoir été directement éprouvé et être connu d’après l’expérience directe, et il a montré que « être » est le sens primitif de tous ces termes techniques qui présentent ordinairement tant d’ambiguité dans la marche de notre pensée. Par là, il a créé une base solide et sûre pour l’élucidation de ces représentations et du cercle d’idées qui s’y rattache. Tous les écrits de Lotze contiennent de véritables chefs-d’œuvre dans ce genre de travaux, le Microcosme, l’Histoire de l’esthétique en Allemagne {Munich, 1868), le Système de philosophie (1er vol., Logique, 1874 ; 2e vol., Métaphysique, 1879 ; qu’il ne lui à pas été donné d’achever[1].

Naturellement, il se présentera plus d’un cas où l’opinion de Lotze n’est pas le dernier mot de la science sur l’objet en question. Au degré où se trouve le développement ou plutôt le non-développement scientifique de la philosophie actuelle, il serait absurde de s’attendre à ce qu’il en fût autrement. Jamais plus qu’à une pareille époque on n’est porté à regretter que tout représentant éminent d’une science ne soit pas son propre successeur, et ce sentiment est la preuve la plus directe de l’importance qu’on attache à ses travaux. Même un géant ne peut pas voir aussi loin qu’un nain si nous supposons que le hasard ait placé ce dernier sur les épaules du premier. Ne plus croire que la philosophie puisse sortir complètement achevée de la tête d’un seul homme, être convaincu que cette science, comme toutes les autres, peut seulement être achevée par le travail commun et concordant de plusieurs générations successives, c’est là un progrès qui est dû en grande partie à l’initiative de Lotze.

Dès ses premières années de son séjour à Göttinge, Lotze s’était attaché à cette ville. Heureux dans son intérieur, réunissant autour de sa chaire des auditeurs de plus en plus nombreux, hautement

  1. La Revue publiera dans le courant de l’année prochaine une série d’études sur Lotze. (Note de la D.)