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A. FOUILLÉE. — critique de la morale kantienne

et l’hétéronomie, entre l’absolu et le relatif, entre le moral et le naturel.

En résumé, le but poursuivi par Kant était le plus beau que pût se proposer un philosophe : fonder une morale vraiment immanente et vraiment autonome. Il n’y a réussi qu’incomplètement.

1o En conservant l’idée de loi morale, de loi formelle. d’impératif catégorique, de devoir, il conserve la morale transcendante et hétéronome de l’ancienne métaphysique spiritualiste, qui aboutissait à l’autocratie de l’absolu et à ce qu’on pourrait appeler, d’un terme emprunté à Kant lui-même, le fanatisme moral. Kant, au moment où il semblait devoir fonder une sorte de libéralisme dans la science des mœurs, demeure autoritaire. C’est là, à notre avis, le premier défaut de sa morale.

2o Ce défaut en entraine un autre : le maintien de l’esprit théologique en morale. En effet, une loi proprement dite ne peut être qu’un ordre divin. Aussi, dès le début, Kant appuie secrètement sa morale sur l’idée d’un Dieu, quoiqu’il ait lui-même démontré l’incertitude de l’idéal théologique. Il en conserve la forme, sinon le fond. Même quand il fait la critique de la raison pure, il a déjà en vue la raison pratique : son but est de réserver à la morale un monde où elle puisse pénétrer par la foi, sinon par la science ; pour cela, il a soin de poser d’abord ce monde comme possible spéculativement, afin de nous obliger ensuite à l’affirmer pratiquement, à le postuler comme réel. Mais ces postulats de Kant sont eux-mêmes une série d’hypothèses empruntées à la métaphysique, qu’on semblait avoir écartée, et qui ne peuvent se soutenir que par des arguments métaphysiques ou par des inductions psychologiques et cosmologiques. Il est facile d’y reconnaître le vieux fonds de la théologie. La critique de Kant est donc comme une machine pneumatique avec laquelle on prétendait d’abord avoir fait dans l’esprit le vide métaphysique et religieux ; mais, de même que le physicien, quand il analyse le fluide subtil qui reste sous la cloche, y retrouve toutes les propriétés de l’air raréfié, de même le philosophe, s’il analyse les idées subtiles qui sont le résidu de la critique kantienne, y retrouvera toutes les propriétés de la métaphysique et de la théologie raréfiées. Qu’on pousse l’opération critique jusqu’au bout avec plus de sincérité où plus de rigueur, elle aboutira à un objet vraiment indéterminé et vide ; mais alors la morale elle-même n’aura plus pour principe et pour idéal qu’un objet indéterminé. Telle serait la morale des Kantiens orthodoxes, si elle était logique.

3o Le troisième caractère de la morale kantienne, qui résulte de