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HERBERT SPENCER. — la société militaire

succès qu’on obtient à détruire ses semblables surpasse tout les honneurs, une nouvelle cause de plaisir prend naissance dans un grand exercice de l’art de tuer : l’orgueil que donnent les dépouilles d’un vaincu inspire du mépris pour les droits de propriété en général. Comme il n’est pas croyable qu’un homme soit courageux devant des ennemis et lèche devant des amis, il est incroyable que les sentiments favorisés par les conflits perpétuels avec le dehors n’entrent pas en jeu à l’intérieur. Nous avons vu qu’avec la poursuite de la vengeance au dehors de la société, marche celle de la vengeance au dedans ; toutes les autres habitudes d’idées et d’actions que la guerre continuelle nécessite, doivent manifester leurs effets dans la vie sociale en général. Des faits empruntés à l’histoire de divers pays et à des époques différentes prouvent que dans les sociétés militantes on tient peu de compte des droits à la vie, à la liberté et à la propriété. Les naturels du Dahomey, belliqueux à ce point que les deux sexes portent les armes et chez qui naguère encore, sinon aujourd’hui, on entreprenait annuellement des expéditions en vue de chasser des esclaves, afin « de remplacer le trésor royal », les naturels du Dahomey montrent leurs goûts sanguinaires dans leurs fêtes annuelles, où ils égorgent d’innombrables victimes pour le plaisir du peuple. Les Fidjiens, dont les occupations et le mode d’organisation sont tout militaires, qui montrent leur insouciance de la vie non seulement en tuant des gens de leur sang pour fournir à leurs festins de cannibales, mais en sacrifiant des victimes à propos de rien, par exemple à l’occasion d’un canot qu’on lance, tiennent si bien la férocité en honneur qu’ils se font gloire de commettre un meurtre. Les anciens récits des Asiatiques et des Européens nous attestent l’existence de la même relation. Ce que l’on nous raconte des Mongols primitifs, qui massacrèrent les peuples occidentaux en masse, nous prouve qu’ils étaient formés par un régime de violence chronique, aussi bien au dedans de leurs tribus qu’au dehors. L’habitude de l’assassinat entre parents, qui a été dès le début un caractère des Turcs belliqueux, l’est encore aujourd’hui. La preuve qu’il en était ainsi chez les races latines et grecques, nous la trouvons dans le massacre de deux mille ilotes par les Spartiates, peuple aux habitudes brutales, et dans le meurtre d’un grand nombre de citoyens suspects par l’ordre d’empereurs romains jaloux, qui, eux aussi, comme leurs sujets, montraient du plaisir à voir couler le sang dans le cirque. Il s’ensuit nécessairement que, lorsque la vie n’est pas respectée, on tient peu de compte de la liberté : ceux qui n’hésitent pas à mettre fin à l’activité d’autrui par le meurtre, hésiteront moins encore à réduire son activité en le