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G. TARDE. — la psychologie en économie politique

morte, comme la théologie depuis les Pères), la grammaire n’est que la coordination aussi logique que possible, étant donné l’usage incorrigible parfois, des éléments et des formes du discours. La morale, c’est la coordination aussi logique que possible des devoirs divers, souvent contraires, inégaux en degrés, qui sont venus à un peuple des quatre points de l’horizon et se sont formés et répandus indépendamment les uns des autres, à des époques différentes, pour répondre à leurs besoins successifs. La morale la plus élevée tâche de coordonner hiérarchiquement, c’est-à-dire encore logiquement, les mœurs, les corps de devoirs distincts, des différents peuples. — Le droit, j’entends le droit qui se forme, le Corpus juris de Justinien ou le Code civil de Napoléon, et non le Droit mort que les commentateurs dévorent, est la coordination logique, toujours dans la mesure du possible, des éléments juridiques légués par le passé d’une nation et inventés par des centaines de jurisconsultes anciens. Quant à la science des commentateurs, elle ne mérite ce nom que lorsque, essayant de compléter la coordination logique des textes, elle y découvre des contradictions qu’elle lève au moyen de fictions juridiques ou en invoquant un soi-disant esprit de la loi, aussi commode en jurisprudence que peut l’être en théologie le sens spirituel des écritures. La science militaire, étant donné un ensemble d’engins et de ruses de guerre, d’armes spéciales, successivement inventées et mises en honneur par de grands guerriers de l’antiquité et des temps modernes (peut-être même de la pré-histoire), montre comment ces éléments divers doivent se coordonner solidairement, logiquement, dans l’organisation et la conduite des armées, en vue du but agressif ou défensif de la guerre. Si la politique pouvait être une science et non simplement un art, elle serait la coordination logique des procédés administratifs transmis par les aïeux, des institutions séparément créées et fonctionnant à part, en vue d’atteindre le but collectif d’une nation, de réaliser l’œuvre à laquelle collaborent tous ses membres, qui, dans leurs rapports purement économiques, s’entr’aident, mais ne collaborent pas. Car s’entr’aider a atteindre séparément des fins égoïstes, décousues ou contradictoires, ce n’est nullement collaborer à une œuvre commune qui fait d’une foule humaine un faisceau d’idées et d’efforts convergents. Et par là se marque l’insuffisance du point de vue exclusivement économique.

Enfin, l’économie politique est la science qui tâche de montrer comment se coordonnent logiquement ou doivent se coordonner logiquement pour répondre au vœu d’un maximum d’utilité obtenu par un minimum de travail, les productions des diverses richesses,