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NOTES ET DISCUSSIONS.Sur la valeur du syllogisme.

logicien, que Vesta est un corps obscur, de ce que les planètes sont obscures, nous n’apprenons rien de nouveau, parce que la connaissance de Vesta a été nécessaire pour former l’affirmation. Mais il peut arriver que l’universel soit connu comme vrai avant la découverte de la totalité du particulier, « Par exemple, depuis Newton, on peut considérer les lois de Képler comme universellement vraies, sans avoir eu besoin de faire l’épreuve sur toutes les planètes et sur tous les satellites ; et même, par conséquent, aussi souvent qu’une nouvelle planète est découverte, on peut lui appliquer syllogistiquement avec une pleine confiance les lois générales. » Si nous tirons ici une conclusion qui n’est pas expressément dans les prémisses, nous le faisons toutefois dans l’hypothèse que les prémisses la contiennent, et parce que, comme dit Ueberweg lui-même, « nous avons des raisons de supposer d’avance une certaine loi générale, comme loi de la nature. »

Maintenant, il convient de remarquer que nous avons plus ou moins de raisons de faire cette supposition. Je peux, par exemple, me rappeler que le cresson, qui est une crucifère, a pour fruit une silique, parce que la silique est le fruit de toutes les crucifères. Mais il se pourrait, si j’étais novice en botanique, que je conclue du fruit siliquiforme de la chélidoine à ce qu’elle est une crucifère ; l’étude de la fleur me montrerait alors que, par d’autres caractères, la chélidoine appartient aux papavéracées, et je serais averti de corriger la majeure de mon syllogisme inconscient. En un mot, quelque régulière que soit l’expression syllogistique, la position de l’esprit n’est pas la même, selon le degré de généralité ou de certitude de la majeure, c’est-à-dire selon que la déduction porte un caractère plus ou moins provisoire.

Il faut conclure en disant que la meilleure théorie du syllogisme reste la théorie classique, et que le syllogisme, d’autre part, n’est qu’une expression logique, impuissante à devenir jamais un instrument de découverte ou d’acquisition, quoique M. Janet incline à le croire avec Ueberweg. N’est-il pas vrai que le syllogisme, en soi, est indifférent à la validité de l’opération intellectuelle qu’il recouvre, que ses prémisses lui sont fournies, et que la certitude de la conclusion n’est pas son œuvre ? Il n’est qu’une sorte de mise en équation, dont l’usage est certainement recommandable ; une forme logique à remplir, et comme une meule qui ne peut rendre que la farine du grain qu’on lui a versé.

Lorsque Stuart Mill nous parle d’un syllogisme inductif, c’est déduction provisoire qu’il entend, et il retourne à la théorie classique. Lorsque M. Janet incline à attribuer au syllogisme une vertu effective, c’est qu’il entre dans le biais de Stuart Mill. J’ai l’espoir que les explications qui précèdent termineront le différend, et je remercie M. Janet de m’avoir donné, par sa critique judicieuse, l’occasion de les produire.

Agréez, etc.

Lucien Arréat.