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sons certaines images, que nous en accueillons d’autres, que nous distinguons celles qui en font toujours partie et celles qui n’y entrent que par accident, quel que soit d’ailleurs le nombre de ces éléments, et qu’il faille ou non n’y considérer que des propriétés essentielles, comme celles qu’expriment les jugements analytiques, ou reconnaître des qualités accessoires, comme celles que traduisent les jugements synthétiques. La grande raison de Mill, fidèle, il est vrai, à ses principes empiriques, pour ne pas tenir compte de ce lien, de ce caractère de permanence, c’est qu’en lui-même il n’est pas objet de sensation. Mais ce n’est qu’un rapport, et comme l’avait fort bien vu Hamilton[1], injustement critiqué par Milk sur ce point, un rapport ne saurait être représenté dans l’imagination. Mais de ce qu’il n’est pus une présentation directe des sens, il ne s’ensuit pas qu’il ne soit rien : et Mill, qui reconnaît des relations comme objets de pensée, ne saurait le soutenir. Ce lien est, dans l’esprit ; on peut même dire qu’il est, en un sens, dans les choses : car les éléments de : nos concepts ne sont juxtaposés dans l’esprit que parce que les phénomènes qu’ils expriment sont simultanés dans la réalité. Nous traduisons cette union réelle à notre manière ; l’idée est l’équivalent subjectif de la loi objective qui préside à l’apparition des phénomènes.

Sur la nature et l’origine de ces concepts, diverses explications peuvent être proposées. On peut concevoir que l’esprit, au contact des choses, les trouve ou les retrouve, par intuition ou par réminiscence, de façon à les appliquer ensuite aux choses sensibles où même à les substituer complètement aux choses sensibles, comme des vérités plus hautes et plus sûres. Telle était la doctrine de Platon. On peut concevoir que les choses sensibles soient non seulement l’occasion à propos de laquelle l’esprit les connaît, mais une condition nécessaire ; l’esprit les découvrirait, les démêlerait peu à peu dans les choses elles-mêmes, de façon à entrer lentement en possession de ce qui lui appartient, les trouvant, dans, les choses parce qu’il s’y trouve lui-même, ressaisissant ce qui est, à lui, à peu près comme l’insensé ou l’homme ivre qui revient, à la, raison : telle est l’opinion d’Aristote. On peut concevoir que l’esprit, pour imposer aux choses ses lois à priori, se rende compte de l’application qu’il fait de ses lois à chaque groupe de sensations données, dégage la règle suivant laquelle il les construit, le mode ou, pour parler comme Pythagore, le nombre d’après lequel il les combine, ce mode, ce nombre, où cette règle, ce monogramme ou, ce schème, étant à la fois distinct des images sensibles et des pures idées de la raison, et

  1. Phil. de Hamilton, ch. XVII, p. 368.