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divergents ; et, dans le but d’assurer un accord équitable, il faut que chaque intérêt puisse s’exprimer équitablement. On peut même admettre que l’organe institué dans ce but soit un seul individu. Mais il n’y a pas d’individu qui à lui seul puisse servir de juste arbitre entre un grand nombre de classes adonnées à des occupations diverses, et un grand nombre de groupes habitant des localités différentes, sans entendre des témoins : il faudra que chaque groupe envoie des représentants pour exposer ses griefs. Aussi faut-il choisir entre deux systèmes ; dans l’un, les représentants exposent en particulier et séparément leurs affaires à un arbitre sur le jugement duquel reposent les décisions ; et l’autre où ces représentants exposent leurs affaires en présence les uns des autres, et où les jugements sont publiquement décidés par le consensus général. Sans s’arrêter au fait qu’une balance équitable des intérêts de classe sera plus probablement réalisée par cette dernière forme de représentation que par la première, il suffit de remarquer que cette dernière forme est plus compatible avec la nature du type industriel ; des citoyens qui nomment un chef unique pour un temps déterminé, et peuvent voir le plus grand nombre de leurs volontés barrées pendant ce temps, font l’abandon de leur individualité plus que ceux qui tirent de leur groupes locaux plusieurs députés pour les gouverner, puisque ceux-ci, parlant et agissant sous l’œil du public, et s’imposant mutuellement des freins, expriment habituellement les volontés de la majorité.

La vie corporative de la société cessant d’être en péril, et la dernière affaire du gouvernement étant d’assurer les conditions nécessaires à la plus grande expansion de la vie individuelle, il faut savoir quelles sont ces conditions ?

Nous avons déjà compris qu’elles rentrent dans l’administration de la justice ; mais d’ordinaire on se fait de cette expression une idée si vague, qu’il faut en donner une formule plus spécifique. La justice, comme nous devons la comprendre, signifie la conservation des relations normales entre les actes et les résultats, le gain fait par chacun d’un profit équivalent à ses efforts, ni plus ni moins. Chacun vivant et travaillant dans les limites imposées par la présence d’autrui, la justice veut que l’individu porte les conséquences de sa conduite sans augmentation ni diminution. L’homme supérieur aura le profit de sa supériorité, l’inférieur subira le dommage de son infériorité. Un veto se trouve donc opposé à toute action publique qui retranche à un individu une part de ce qu’il a gagné et octroie à un autre individu les avantages qu’il n’a pas gagnés.

Le type industriel de société exclut toutes les formes de distribution communiste, dont le caractère inévitable est d’avoir pour effet