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le roi commença à étendre fortement son pouvoir sur les nobles, et seulement au xve qu’il s’imposa comme chef suprême assez puissant pour empêcher les querelles des chefs locaux. Si l’on veut savoir à quel point cet état de guerre comprima le développement industriel, on peut s’en faire une idée d’après les expressions hyperboliques d’un vieil auteur : à l’époque où s’achevait, dit-il, la lutte entre la monarchie et la féodalité, « l’agriculture, le commerce, les arts industriels avaient cessé. » Telle est l’énorme différence de l’obstacle qui gêna la vie industrielle en Angleterre et de celui qui l’empêcha en France. Veut-on savoir à quelles différences politiques celle-ci a donné naissance ? Le premier fait à noter, c’est qu’au milieu du xiiie siècle la condition du vilain commença à s’adoucir en Angleterre, grâce à la réduction des corvées et à leur rachat en argent, et qu’au xive la transformation du serf en homme libre était accomplie. En France au contraire, et dans d’autres pays du continent, l’ancienne condition du vilain persista et s’aggrava. En Angleterre, dit M. Freeman, à cette époque, « le vilain en somme disparaît, tandis que dans d’autres pays son sort devient de plus en plus dur. » Outre cette substitution envahissante du contrat à l’état légal, qui commence par les centres industriels des villes pour se répandre dans les campagnes, il s’est opéré un affranchissement analogue de la classe noble. Les obligations militaires des vassaux firent place à des redevances en argent ou écuages, si bien que du temps de Jean sans Terre la classe supérieure se rachetait du service de guerre, comme l’inférieure du travail de la glèbe. Après la diminution des entraves imposées aux personnes vint la diminution des empiétements sur la propriété. La Grande Charte imposa une limite aux tailles arbitraires sur les villes et les tenanciers non militaires du roi ; et, tandis que l’action agressive de l’État diminuait, son action protectrice s’étendait : il fut pris des mesures pour que la justice ne fût jamais vendue, ni ajournée, ni déniée. Tous ces changements étaient autant de progrès vers les arrangements sociaux qui sont pour nous les caractères du type industriel. Nous voyons ensuite naître le gouvernement représentatif, qui nous l’avons vu dans un chapitre précédent en suivant un autre ordre d’idées, est en même temps le produit du développement industriel et la forme politique propre au type industriel. Mais en France aucun de ces changements ne se produisit. L’état d’asservissement du vilain demeura absolu et dura jusqu’à une époque relativement moderne ; le rachat des obligations militaires du vassal envers son suzerain fut moins général ; et, lorsque des tentatives d’établissement d’une assemblée exprimant la volonté populaire furent hasardées, elles avortèrent. Il serait trop long de