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deux tiers datent de 1760 seulement) est un fait connu de tous. « La stérilité, les psychopathies, la mort prématurée et finalement l’extinction de la race ne constituent pas un avenir réservé spécialement et exclusivement aux dynasties souveraines. Toutes les classes privilégiées, toutes les familles qui se trouvent dans des positions exclusivement élevées partagent le sort des familles régnantes, quoiqu’à un degré moindre qui est toujours en rapport direct avec la grandeur de leurs privilèges, etc. » (p.  431).

Pour démontrer les effets funestes de la sélection en dehors des familles princières et de l’aristocratie, l’auteur ne peut plus employer la méthode historique ; mais il s’appuie sur la statistique. Nous ne pouvons entrer ici dans les détails de cette partie de l’ouvrage, et c’est l’affaire des statisticiens de la discuter. Il n’est pas douteux que la « liste des personnages remarquables rangés par lieu de naissance et par départements » n’est guère satisfaisante. Mais, quelques réserves qu’on doive faire à cet égard, nous croyons que les conclusions générales de l’auteur n’en subsistent pas moins, et on peut les résumer ainsi :

Si nous comparons la population des campagnes à celle des villes et surtout des grandes villes, nous pouvons dire que ces dernières présentent un phénomène social de la plus haute importance : la sélection de l’intelligence et de l’activité. Dans les campagnes la vie est si monotone, si bien faite pour détruire toute initiative que « tous les hommes non seulement de talent, de capacité, mais simplement plus actifs, plus remuants, affluent des campagnes dans les villes, y périssent ou se frayent leur chemin, ou mènent une vie précaire, mais ne retournent que rarement à leurs villages. Le niveau intellectuel des villes s’élève : ainsi aux dépens des campagnes. Les petites villes jouent le même rôle par rapport aux grands centres, surtout aux capitales. Celles-ci représentent le plus haut degré de la sélection ; mais aussi qu’y trouvons-nous ? Les manifestations les plus nombreuses et les plus aiguës de l’excitation mentale (suicide, névropathies, folie, etc.), la mortalité des enfants, la stérilité, l’extinction de la race. Une capitale réduite à vivre sur son propre fond, sans rien recruter du dehors, périrait au bout de quatre ou cinq générations.

Ainsi, partout et toujours, le plus haut degré de la sélection est le commencement de la dégénérescence. Cette vérité n’est pas consolante ni, je le crains, au goût du jour. L’auteur l’a plus d’une fois exprimé en de fort belles pages que je ne puis reproduire tout entières, mais dont quelques passages résumeront parfaitement l’esprit de son livre et ses conclusions :  ;

« De l’immensité humaine surgissent des individus, des familles et des races qui tendent à s’élever au-dessus du niveau commun ; ils gravissent péniblement les hauteurs abruptes, parviennent au sommet du pouvoir, de la richesse, de l’intelligence, du talent, et, une fois arrivés, sont précipités en bas et disparaissent dans les abimes de la folie et de la dégénérescence. La mort est la grande nivelatrice ; en anéantis-