Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
541
notices bibliographiques

et indivisible, autrement l’univers ne serait pas réel ; la substance est infinie en force tout en restant soumise à ses lois ; l’action produit le mouvement, vibration normale de l’atome, qui est éternellement à la fois moteur et mobile en vertu d’une puissance innée et surtout de la mutualité de cette puissance. La substance possède en outre la connaissance immédiate et infinie qui n’est ni une réflexion ni même une pensée, mais un instinct nécessaire. La variété des milieux explique la variété des êtres. Une loi n’est qu’un rapport éternel et nécessaire, non l’ordre d’une volonté : telles sont les lois d’association, de transformation et de désagrégation, conditions du progrès, que démontrent l’expérience et le raisonnement. Le rapport qui existe entre l’infini et le fini est exprimé par le mot fatalité : c’est une nécessité relative qui exclut le hasard, mais laisse possible la liberté.

La substance ne peut être une personne, autrement elle serait contingente, relative, distincte et limitée. Il s’ensuit que la morale, fondée sur des rapports de personnes est purement humaine. M. Roisel esquisse alors une sorte de psychologie générale nous montrant les manifestations les plus élevées de la substance. Ce qu’il appelle instinct ou connaissance immédiate n’est que la spontanéité présente aussi bien dans le minéral et le végétal que dans l’animal : universel dans l’atome, l’instinct est spécial dans les êtres contingents. La vie intellectuelle et morale ou, d’un mot, volontaire, est postérieure à la vie instinctive et sensible. La substance est indépendante, mais la personne humaine est libre, ce qui est bien différent ; cette liberté n’est en somme que la possibilité de s’adapter aux milieux variés. La volonté, et l’auteur y insiste, n’est qu’une résultante ; il lui faut des conditions pour se former et des matériaux pour s’exercer. Elle rend possibles la justice et, mieux encore, la vertu, dernier terme du progrès individuel,

Le livre de M. Roisel est suggestif et intéressant ; mais son système n’a ni une grande nouveauté ni une grande portée philosophique. Sur le point essentiel, sur la théorie de la substance, il y a beaucoup de réserves et de critiques à faire. Elles peuvent presque toutes se résumer d’un mot ; l’auteur traite en savant, en physicien, comme les anciens Ioniens, une question éminemment métaphysique. Moniste avant tout, il considère la science et la métaphysique, qu’il appelle simplement logique, comme s’enchainant rigoureusement l’une à l’autre ; il ne semble même pas soupçonner les difficultés si nettement posées par la critique moderne. De là des lacunes et des erreurs, Les lois de la pensée sont-elles nécessairement les lois des choses ? En sommes-nous assurés ? Le raisonnement peut-il nous donner autre chose que les termes d’un mécanisme logique ? Peut-il atteindre la substance des choses ? Nous ne demandons qu’à le croire ; mais la question valait la peine d’être discutée ici.

Admettons la légitimité du raisonnement qui va du conditionné à la condition, comme dit Kant. Encore faut-il que les faits soient bien connus et la condition suffisante et intelligible. Or : 1o M. Roisel prend