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c’est là le plus petit intervalle par lequel on puisse mesurer les autres ; ceux-là prétendent que les deux sons sont les mêmes ; des deux côtés, l’oreille passe avant la raison. — Socr. Tu veux parler de ces singuliers tourmenteurs des cordes qui les fatiguent et les torturent sur les clefs ; mais ne poursuivons pas l’image, ne parlons pas des coups donnés avec le plectron, des accusations, des dénégations, des vanteries des cordes. Arrêtons-nous ; non, ce n’est point d’eux que je veux parler, mais de ceux-là qui méritent, avons-nous dit, d’être interrogés sur l’harmonie. Ils font la même chose que les astronomes ; ils cherchent les nombres dans les accords perçus par l’oreille, mais ne s’élèvent pas au problème d’examiner quels sont les nombres consonnants ou non, et d’où leur viennent ces propriétés. »

Si l’on prenait à la lettre ce que disent des différents modes les auteurs grecs qui ont écrit sur la musique, on ne comprendrait point ce que Platon paraît penser de la diversité de leurs effets. Les modes, à l’époque classique, ne présentent absolument de différence qu’en ce qui concerne la hauteur du point de départ de l’échelle musicale ; une différence de un ou deux tons ne peut évidemment avoir aucune signification. Il faut donc admettre qu’au commencement du ive siècle il y avait entre la musique dorienne et la musique lydienne, par exemple, un autre abîme que celui d’une tierce.

La musique nationale grecque était la dorienne ; c’est elle qui en réalité est l’ancêtre de la nôtre. Dès le temps de Pythagore[1], elle était constituée avec une gamme régulière dans l’octachorde ; mais à côté d’elle florissaient, chez les peuples avec lesquels les Grecs avaient le plus de relations, d’autres musiques barbares, avec des mélodies étranges à l’oreille hellène, avec des gammes en désaccord avec son échelle. Lorsque Pythagore eut trouvé des lois qui permettaient la comparaison numérique des divers intervalles musicaux, un grand travail put s’accomplir, auquel Platon, ici trop attaché aux habitudes de l’art antique, n’épargne pas les railleries, comme on l’a vu dans le texte cité ! Il s’agissait de plier au type dorien toutes ces mélodies étrangères, ce qui exigeait d’ailleurs que l’on fit subir au type lui-même toutes les variations dont il était susceptible et qui seules pouvaient permettre la reproduction de ces mélodies. Une fois ce travail achevé, il fut consacré dans les écrits d’Aristoxène,

  1. Le mot dorien ne doit pas ici faire penser à une prédominance des Lacédémoniens ; Sparte observait des règles spéciales, dues à Terpandre de Milet, et la musique, sur sept cordes seulement, y avait un caractère enharmonique particulier. Voir plus loin ce qui sera dit des genres.