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physiques et de la psychologie ; c’est en réalité la tentative d’une nouvelle construction métaphysique. Pour l’établir, l’auteur examine la position respective des deux écoles rivales : le transcendantalisme et l’empirisme.

On n’a pas remarqué jusqu’ici que la théorie de Clifford, réduite à sa forme la plus simple ; est identique à la métaphysique de la volonté de Schopenhauer. On sait que, pour le philosophe allemand, la volonté est, en réalité la chose en soi, qu’il emploie ce terme faute de mieux et pour l’opposer à la connaissance, qui n’est pas un élément primitif. Schopenhauer comme Clifford fondait sa métaphysique sur la science (Cabanis, Bichat) et comme lui était idéaliste.

Les idées qui distinguent la psychologie contemporaine de l’ancienne psychologie empirique sont : 1o la distinction admise entre le conscient, le subconscient et l’inconscient, comme différant en degrés seulement ; 2o l’application de la théorie de l’évolution à la psychologie ; 3o la découverte faite surtout en Allemagne que les méthodes expérimentales sont applicables à la psychologie des sens. — Le système de Schopenhauer a été suggéré par la première de ces idées. Les faits physiologiques ont conduit les psychologues à voir que les faits de conscience que révèle l’observation intérieure ne sont qu’une partie de la vie mentale et que ce sont des sentiments (feelings) inconscients qui sont les facteurs des phénomènes mentaux : ce sont ces éléments de l’esprit découverts par la physiologie que Schopenhauer appelait volonté.

Les différences entre la thèse de Schopenhauer et la théorie du « mind-stuff » de Clifford s’expliquent en grande partie par ce fait que ce dernier a eu l’avantage d’écrire à une époque où la théorie de l’évolution lui ouvrait une nouvelle voie : aussi sa grande supériorité consiste à avoir substituer le sentir à la volonté. Remarquons en passant que Herbert Spencer, dans son analyse des sensations élémentaires, arrivait à des thèses analogues à celles de Clifford. La vue vers laquelle tendait celui-ci était une sorte de « théorie atomique » de l’esprit, puisque l’esprit se trouverait, en définitive, composé d’unités consistant en « chocs » ou « vibrations », théorie qui à le mérite de rejeter les fictions, telles que la substance de la matière, la substance de l’esprit, les équivoques du mot cause, etc.

L’auteur, défendant les théories précédentes contre les critiques des hégéliens, recherche pourquoi, l’esprit se décomposant finalement en sensations et rapports entre les sensations, c’est-à-dire en deux catégories d’éléments, on réserve à l’une le privilège d’être considérée comme primordiale. Si les rapports sont aussi fondamentaux que les sensations élémentaires, pourquoi appeler celles-ci exclusivement la chose en soi ? Ceci peut s’expliquer par analogie avec la limite mathématique. À mesure qu’on descend vers les sensations inférieures, l’élément rapport devient devient de moins en moins important, en sorte qu’on peut, idéalement, arriver à une conception de la sensation pure, quoique celle-ci en fait n’existe jamais.