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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/301

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CH. SÉCRÉTAN. — du principe de la morale

les résolutions, les actions de tous ses semblables ; si bien que les responsabilités, qui semblent individuelles, sont toujours et nécessairement collectives, et que l’unité substantielle du genre humain se déclare dans sa vie morale aussi bien que dans sa condition physiologique. Tel est le fait. L’évidence en est accablante, irrécusable. Longtemps on l’a contestée. Depuis quelque temps, on n’a pas même la ressource d’en détourner les regards. On la subit, parfois on l’invective ; on n’en veut pas encore avouer les conséquences. On se croit libre de penser que l’universalité des phénomènes contredit la vérité des choses, comme si nous possédions un autre moyen d’atteindre la vérité des choses qu’un examen des phénomènes attentif et consciencieux. De la solidarité constante, de la pénétration réciproque absolue on se défend de conclure à l’unité de l’être. N’est-ce pas l’oubli de toute méthode, et ce refus arbitraire n’infirme pas la possibilité même de la connaissance ? Au rebours du procédé constant de l’esprit qui cherche, on s’en tient à la première apparence, pour l’opposer résolument aux inductions graduelles d’une observation réfléchie, qui étudie le fait sous tous ses aspects. Il y a là un phénomène étrange, il vaut la peine de s’y arrêter.

Ce n’est pas sans doute le témoignage des yeux et des mains, ce n’est pas l’indépendance de la locomotion individuelle qui empêchent un esprit sensé de reconnaître l’unité humaine. Ce n’est pas non plus l’individualité de la conscience formelle, qui n’est après tout qu’une sensation, pour ne pas dire la borne d’une sensation, un phénomène d’une souveraine importance assurément, mais dont on ne saurait saisir la portée véritable qu’en le considérant dans ses rapports avec tous les autres. De tels obstacles auraient été surmontés depuis bien longtemps ; le vulgaire, incapable de les franchir seul, aurait reconnu l’unité de l’homme sur la foi de l’opinion savante, comme il croit au mouvement de la terre d’après l’autorité des almanachs. La résistance de l’individualisme anthropologique doit avoir des raisons meilleures.

Elle en a de meilleures effectivement, mais les meilleures ne sont pas bonnes.

C’est d’abord le malentendu simpliste, auquel on a déjà touché. Beaucoup de gens, et dans le nombre sont des gens d’esprit, ne conçoivent dans l’unité que la négation de la pluralité, dans l’affirmation de l’espèce que l’anéantissement de l’individu. Entre le panthéisme et cet atomisme qui de chaque être particulier fait un monde, un dieu peut-être, ils ne trouvent rien. Ils n’auraient pas tort, si l’affirmation de l’être général et l’absolu déterminisme étaient