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C. VIGUIER. — le sens de l’orientation

le froid, le midi le chaud, l’est le sec, l’ouest l’humide… c’est plus qu’il ne lui en faut pour diriger sa marche sans le secours du soleil ou des yeux. Le pigeon transporté du nord au midi s’aperçoit du changement de température, et pique droit au nord. S’il ne retrouve pas d’emblée son domicile, c’est qu’il est remonté trop droit ; il n’a besoin que de quelques heures de recherches pour retrouver son nid. »

Le charmant fantaisiste qui a écrit ce passage a trop souvent cédé à l’amour du paradoxe pour qu’il soit possible de savoir s’il prenait son explication bien au sérieux. En tout même de quoi la combattre. « Les émigrations périodiques, nous dit-il, n’ont pas toutes lieu du nord au sud, et réciproquement. Toutes ces nuées de voyageurs ne suivent pas une ligne géométrique parallèle au méridien. Quelquefois ces émigrations se font du nord-ouest au sud-est. On voit fréquemment des oiseaux de France, partant pour l’Afrique, dériver par les Alpes, le Tyrol, et aller atterrir aux plages de Tripoli ou d’Égypte, au lieu de traverser tout droit pour aller en Algérie ou au Maroc… Enfin, il est des espèces qui se déplacent suivant les parallèles. » À part les espèces qui « vagabondent plutôt qu’elles n’émigrent », le voyage se fait en ligne droite, ou presque droite, du point de départ au point d’arrivée. Même en admettant, ce que nous savons être faux, que les voyages s’effectuent du nord au sud directement, c’est-à-dire suivant la ligne où les changements météorologiques sont théoriquement le plus rapides, il est évident que des impressions provenant de conditions aussi variables, ne sauraient guider dans un voyage direct. Combien de fois des perturbations atmosphériques n’amènent-elles pas une inversion complète de ces conditions que Toussenel suppose si parfaitement fixes ? Et l’oiseau qui va chercher la chaleur des hivers africains, commence-t-il à sentir le radoucissement de la température au moment où il traverse le Tyrol ou les Alpes ? Il nous faut donc aussi abandonner cette hypothèse. Il nous faut surtout en trouver une qui soit générale, et s’applique à tous les cas de même nature. Qu’un chien revienne d’une courte distance par un chemin qu’il n’a jamais parcouru, qu’un oiseau migrateur effectue des voyages de plusieurs milliers de kilomètres, volant la nuit plus souvent que le jour, parfois à des hauteurs considérables, ou traversant des mers larges de plusieurs centaines de lieues, la notion qui les dirige doit être la même. On a prétendu que l’oiseau voyageur apprenait sa route en effectuant un premier voyage avec ses compagnons ; mais ceci suppose que l’animal apprend réellement à reconnaître son itinéraire, ce que l’on n’a jamais pu démontrer, et ne saurait expli-