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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/149

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H. MARION. — françois glisson

d’appartenir aux seuls animaux, elle est commune à toutes les substances. Enfin elle n’a pas pour objet une réalité extérieure, mais demeure enfermée dans le sujet lui-même. Il est vrai que, par lui, elle s’étend à toutes les choses avec lesquelles il est en rapport et en connexion, mais ce n’est que d’une manière indirecte et confuse.

Cette perception, on ne la refuse à la matière que parce qu’un préjugé vulgaire « fait regarder la matière comme une chose stupide et inerte, un je ne sais quoi tout passif, dont toute la raison d’être est de remplir l’espace, ad infarciendum mundum duntaxat natam. » Erreur grossière : toute la matière est vivante. On croirait entendre Leibnitz : « Je ne connais point ces masses vaines, inutiles et dans l’inaction, dont on parle. Il y a de l’action partout… ; il n’y a point de corps sans mouvement, ni de substance sans effort… Il n’y a rien d’inculte, de stérile, de mort dans l’univers… Toute la nature est pleine de vie. »

C’est ce que Glisson entreprend de prouver, en faisant appel d’abord à l’autorité et au raisonnement, ensuite aux faits.

IV

Platon, quand il concevait une âme du monde, les péripatéticiens, quand ils attribuaient à des intelligences directrices l’ordre et la constance des mouvements célestes, comprenaient bien que la matière inerte et morte, sans l’esprit, ne suffisait point à rendre compte de l’admirable arrangement des choses. Leur erreur a été de prendre pour une réalité distincte, extérieure à la matière, ce qui n’est qu’un autre aspect d’elle-même, savoir sa nature énergétique, le principe d’action et de vie qui est en elle.

Que tout ce qui est soit de nature vitale, c’est ce qui paraîtra nécessaire, si l’on considère les causes des choses. Ces causes sont ou extérieures : cause efficiente, cause exemplaire, cause finale ; ou internes : cause matérielle et cause formelle.

Comme une substance « ne peut commencer que par création ni finir que par annihilation » [1] et ne doit l’être à aucune autre créature, la seule cause efficiente est Dieu. Or croit-on que Dieu eût accordé aux substances matérielles une si noble entité (l’être par soi), sans leur donner une nature opérative correspondante ? Les hommes, quand ils font des machines, ont égard avant tout à l’usage

  1. XLI, 4. Cf, Leiba.. Erdm., p. 125, 145.