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c’est-à-dire à l’aide des impressions qui nous arrivent par le sens du toucher. Que la pièce vienne à s’éclairer subitement, et les impressions visuelles éclipsent tellement les impressions tactiles que celles-ci passent désormais pour ainsi dire inaperçues. Et cependant l’exemple des aveugles nous montre à quel degré de délicatesse elles sont susceptibles d’arriver. Il en serait de même pour le sens magnétique. En l’absence de toute indication fournie par les autres sens, l’animal s’abandonnerait aux impressions données par celui-ci, jusqu’à ce qu’il arrive dans un endroit où il puisse se reconnaître à l’aide des sensations plus précises fournies par la vue ou par l’odorat.

Il faut bien remarquer que cette explication est générale ; et qu’elle s’applique à tous les cas de retour d’un point éloigné, soit en ligne directe, soit par une route aussi sinueuse que l’on voudra l’imaginer, puisque la perception est constante. Pour ce qui est plus spécialement des migrations régulières, on peut très bien admettre que les conditions magnétiques font partie intégrante de l’ensemble de notions (conscientes ou inconscientes) qui servent à l’animal à reconnaître ce lieu ; et il n’y aurait rien de plus extraordinaire à voir associer l’idée de certaines conditions magnétiques aux phénomènes importants de la ponte et de l’élève des jeunes, qu’à y voir associer l’idée d’un certain degré de chaleur. S’il en est réellement ainsi, l’animal doit chercher, lorsque vient le temps des amours, à retrouver le lieu même qui a été le plus favorable à l’évolution de ses ascendants, si les nécessités de son alimentation ou la rigueur du climat l’ont éloigné de ce lieu durant une partie de l’année. Or les conditions physiques, si l’on y comprend les conditions magnétiques, ne se retrouveront absolument les mêmes (si même elles peuvent se retrouver ainsi) qu’à des points tellement éloignés les uns des autres, que ce n’est qu’en revenant aux lieux mêmes d’où il est parti que l’animal trouvera ces diverses conditions complètement réalisées de nouveau. Quant au retour exactement au même point, qui a causé tant d’étonnement, il n’a dès lors plus rien de mystérieux. « Le rossignol revient de Grèce, non point seulement au même pays, mais au même champ, au même buisson ; l’hirondelle reprend possession du même nid[1]. » En réalité, une fois l’animal revenu dans le district où il peut se reconnaître à la vue ou à l’odorat, on ne voit pas pourquoi il n’irait pas reprendre précisément le même gite où il s’est bien trouvé l’année précédente. Ceci n’a plus rien à faire avec le sens de direction, pas plus que les manœuvres d’un navire en vue des côtes ne se règlent au compas.

  1. W. Cox, Nature, 3 avril 1873.