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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/357

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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

vivants et obéit aux lois de toute vie. Il y a un milieu où les extrêmes peuvent se rencontrer en effet ; mais c’est après avoir marché l’un vers l’autre. En d’autres termes les deux doctrines doivent pour s’unir concevoir le corps social l’une comme en partie pénétré de conscience, l’autre comme en partie livré à l’inconscience et à l’impulsion organique. M. Fouillée n’a-t-il pas un peu trop penché du côté de la politique des abstractions ? l’idéal n’a-t-il pas fini par l’emporter dans sa pensée sur l’organique ? C’est ce que nous aurons à nous demander tout à l’heure.

En attendant, plusieurs réserves préalables nous semblent devoir être apportées à la théorie de l’organisme contractuel. L’idée est automotrice, dit-on. Ce n’est pas, ajoute-t-on, que l’idée soit affranchie du déterminisme, mais c’est un déterminisme interne qui la régit, — sans doute la loi de l’association des idées, — non un déterminisme mécanique, cosmique. Il nous semble que, dans plusieurs passages, l’auteur de la Science sociale tend plus ou moins nettement à restaurer la causalité absolue de la conscience[1]. Il laisse dans l’ombre les rapports qui unissent l’idée er son objet ; or jamais une conception n’apparaît qui ne soit l’expression d’une réalité extérieure. Ce sont les conditions du milieu représentées dans une pensée collective ou individuelle qui exercent sur elles une pression déterminante et la provoquent à réagir sur ce milieu par des volontés correspondantes. Par exemple, le péril extérieur peut déterminer une fédération d’États ou de provinces, dès qu’il est connu d’elles, à s’organiser plus fortement et à constituer un pouvoir central plus énergique. Ou encore les conditions imparfaites de l’organisation interne dans un État constitué peuvent le déterminer à corriger sur un point l’économie de sa constitution. En définitive, dans l’un et l’autre cas, c’est le monde extérieur qui opère par l’intermédiaire de l’idée ; celle-ci n’est que médiatement automotrice, et son processus n’est qu’un moment de l’évolution cosmique. Il n’y a là qu’un cas plus complexe de correspondance entre les mouvements du dehors et ceux du dedans, ceux-ci restant déterminés par ceux-là. On ne saurait donc élever l’ « automotivité » spirituelle des sociétés au rang de cause initiale.

En second lieu, nous ne voyons pas ce qu’on gagne à confondre la pensée et la détermination consécutive dans la conscience, la sensation et le mouvement dans l’organisme, l’action et la réaction dans le corps brut en une seule et même existence qu’on appelle la volonté. Ce mot perd ainsi son sens précis, pour revêtir un sens

  1. P. 172.