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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/537

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la mécanique et la liberté

II

Mais le plus grand défaut de cette théorie n’est pas encore d’être élevée sur une base trop étroite, c’est que cette base elle-même est caduque.

Après nous avoir décrit « la puissance que nous pouvons mettre à la main des êtres libres, sans compromettre la loi de la conservation de l’énergie, » M. Delbœuf conclut : « Ainsi se trouve renversé le déterminisme absolu tel que l’a défini Laplace, et après lui Dubois-Reymond ». En vérité, est-ce là une conclusion logique ? Jusqu’ici, il n’a été démontré qu’une chose, à savoir que la loi de la conservation de la force ne s’oppose pas à ce que des êtres libres disposent du temps (et de l’espace) ; or, de ce que cette loi n’est pas un obstacle à la liberté, on ne peut pas déduire que celle-ci existe, ni même qu’elle soit possible[1] ; pour cela, il faudrait d’abord démontrer qu’il n’y a pas d’autre loi générale en contradiction avec l’existence de la liberté. C’est ce qu’il importe de chercher avant tout. Quand Laplace a exprimé sa pensée de la formule universelle, ce n’est pas, sans doute, la loi de la conservation de l’énergie qu’il avait en vue, mais bien les lois mêmes de la mécanique avec leur caractère de nécessité, où, si l’on veut, le principe de causalité.

Dans la conception mécanique de l’univers, qui ramène tout à la matière et au mouvement, la notion de force disparaît : on n’a plus à considérer que des modes divers du mouvement : les forces de tension sont des mouvements vibratoires, les forces vives, des mouvements de translation, et les transformations de forces ne sont que

    un mobile qui, sans elle, se dirigeait vers la gauche. Une pareille puissance n’est-elle pas créatrice de forces ? Non, si l’on fait consister la liberté dans la faculté pour l’être libre de retarder (ou d’avancer) la mise en action des forces qui sont disponibles en lui. S’il a ce pouvoir, il peut changer la direction des mobiles sans création ou destruction de forces ; et il n’est pas nécessaire de chercher à lui accorder autre chose, car par là il dispose de l’espace. Ainsi toute la fin du présent chapitre n’a pas de raison d’être. (Note de M. Delb.) M. Delbœuf s’exprime très clairement ; c’est plutôt moi qui aurai mal fait saisir ma pensée, en voulant faire ressortir l’importance de l’espace, laissé dans l’ombre par l’auteur dans le tableau qu’il a tracé du temps. Tout ce que j’ai voulu dire c’est que si « la puissance de faire aller à droite… », n’est pas créatrice de force, ce n’est pas Seulement par une conséquence de « la faculté de retarder… », mais aussi en vertu des mêmes principes et an même titre. (Note de M. Groclerc.)

  1. Aussi n’ai-je pas tiré cette conclusion. M. Grocler substitue sa propre rédaction à la mienne qu’il vient cependant de reproduire. (J.-D.)