Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
H. JOLY. — psychologie des grands hommes

II

Ces conclusions risquent de paraître modestes ; et peut-être se demandera-t-on si la théorie de l’hérédité ne dispose pas, pour les agrandir, de certaines ressources auxquelles nous n’avons jusqu’ici rien emprunté. L’hérédité est soumise à des métamorphoses, aucun physiologiste, aucun médecin n’en doute ; et nous avons rappelé nous-même qu’au génie succédait souvent le désordre ou l’impuissance. N’y aurait-il donc pas, dans ces métamorphoses, une loi d’alternance qui ferait du génie une phase intermédiaire entre deux ordres d’anomalies ? De tout temps, le vulgaire a été-frappé de ce qu’il y a d’original, d’insolite, de hors nature dans ces personnages extraordinaires. Il a d’abord constaté que chez les Alexandre, les César, les Charles V, les Henri IV, les Cromwell, les Condé, les Mirabeau, les Napoléon, comme chez les Rousseau et les Voltaire, tout n’était pas également digne d’admiration et de sympathie. Puis, sur ces hommes et sur leurs pareils, il a recueilli de tous côtés des anecdotes étranges, les faisant agir contre toute règle et sans le secours, évidemment trop grossier, du bon sens. Toute bizarrerie et tout excès qu’il a surpris chez eux lui ont peu à peu semblé comme des parties intégrantes de leurs facultés et des conditions de leur grandeur. Bref, il a confondu les inspirés avec les extatiques, les visionnaires, les hallucinés. Il s’est enfin trouvé des savants pour justifier cette confusion. On a consacré des livres ingénieux à développer des propositions comme la suivante : « Les dispositions d’esprit qui font qu’un homme se distingue des autres hommes par l’originalité de ses vues et de ses conceptions, par son excentricité ou l’énergie de ses facultés affectives, par la transcendance de ses facultés intellectuelles, prennent leur source dans les mêmes conditions organiques que les divers troubles moraux dont la folie et l’idiotie sont l’expression la plus complète[1]. »

Mais il y a deux interprétations de cette théorie. La première tend à établir que l’homme de génie lui-même, par une tension de toutes ses facultés qui va jusqu’à « la perte de la conscience ou à l’extase », est véritablement un malade. Autrement dit, « le génie est une né-

  1. J. Moreau de l’ours, La psychologie morbide dans ses rapports avec la philosophie de l’histoire, ou de l’influence des névropathies sur le dynamisme intellectuel.