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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/563

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ANALYSES. — E. KRANTZ. L’esthétique de Descartes.

leur critique superficielle des chefs-d’œuvre de Rome et d’Athènes. Ils sont au xviie siècle, avant Turgot et Condorcet, les promoteurs, les défenseurs de la doctrine de la perfectibilité, issue de la réaction cartésienne contre l’antiquité. Les premiers ils en cherchent la formule et la démonstration, et nous avons toute raison de persister à revendiquer l’honneur pour la philosophie de Descartes de ce premier développement de la doctrine de la perfectibilité.

M. Krantz d’ailleurs ne s’est pas trompé sur les principaux caractères que la littérature classique tient de la philosophie cartésienne. Il fait preuve de pénétration, de sagacité et de savoir dans la façon dont il les analyse, les développe et les confirme par une foule de preuves et d’exemples, avec le tort cependant de se servir trop souvent de formules extraordinaires pour dire des choses qui auraient pu être exprimées avec plus de simplicité et de clarté. Trop souvent il emploie des termes techniques qui ne semblent pas à leur place dans des analyses plutôt littéraires que philosophiques. D’accord avec tous les critiques de ce temps-ci, comme avec ceux du xviie et du xviiie siècle, il fait dater de Descartes les progrès de la méthode, de l’ordre, du goût, du bon sens et de la raison dans tous les ouvrages de l’esprit sans exception. De même l’approuvons-nous de montrer à son tour, dans l’analyse de l’homme, de sa nature, de ses sentiments et surtout de ses idées et de sa raison, le principal objet où, à l’exemple de Descartes, se concentre la littérature du xviie siècle bâtissant pour ainsi dire en un fonds qui est notre propre nature. Mais il y a plusieurs manières, qu’il distingue très bien, d’étudier l’homme, soit l’homme considéré dans ce qu’il a de divers et d’accidentel selon les lieux, les temps, les conditions, selon ses humeurs et ses caprices, soit l’homme pris dans ce qu’il a d’universel et dans son essence même. Ce second point de vue est celui des classiques du xviie siècle ; l’homme qu’ils analysent avec tant de profondeur est l’homme abstrait et non l’homme concret, l’homme de tous les temps et de tous les lieux, l’homme en lui-même, comme s’il était seul au monde, et non l’homme en société. En eflet, comme Descartes, ils s’abstiennent en général de toute considération sociale et politique. C’est là ce que veut dire M. Krantz quand il place ce qu’il appelle l’élimination du point de vue moral parmi les conséquences indirectes de la philosophie cartésienne sur la littérature classique. Remarquons en passant combien cette formule est équivoque. Elle donnerait en effet à penser que les cartésiens, les grands écrivains du siècle n’ont pas eu de souci de ce qui a été au contraire la plus grande de leurs préoccupations, la dignité de l’homme. L’auteur a mis encore davantage en relief tous ces caractères de l’esthétique classique, suivant son expression, par une intéressante comparaison avec les principes tout opposés de l’école romantique,

Sortant des généralités, pour entrer dans les applications et les détails, M. Krantz veut nous faire voir la théorie littéraire du xviie siècle non pas seulement dans les compositions des grands écrivains, mais