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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 14.djvu/581

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notices bibliographiques

intellectuelles (évolutionisme historique ou critérium scientifique de l’histoire), criticisme réaliste.

Sylvio Roméro esquisse à grands traits la critique de tous ces systèmes ; on ne saurait être plus concis et plus clair. Il s’arrête avec plus d’insistance au point culminant de sa revue, qui est le critérium scientifique de l’histoire, comme action combinée de la nature et de l’homme. Son principal guide est ici l’auteur de la Civilisation en Angleterre, H.-Th. Buckle. De cette œuvre importante, il met en relief la partie critique et la partie dogmatique : l’une, aboutissant à déconsidérer la théorie de la prédestination comme une hypothèse théologique, et celle du libre arbitre comme une hypothèse métaphysique ; l’autre, opposant aux systémes décrépits des métaphysiciens et des théologiens l’évolutionisme régi par les lois physiques et mentales. Ainsi que le penseur anglais, Sylvio Roméro admet la division des lois mentales en lois intellectuelles et en lois morales. Avec Buckle, il affirme que les conquêtes intellectuelles sont plus rapides que les conquêtes morales, que la simple éducation morale est insuffisante pour prévenir les grandes catastrophes et les grandes injustices, si elle n’est pas secondée par les con naissances scientifiques, que les réformes de la pensée précédent les révolutions morales et en sont la condition. Lange a faussé la pensée de Buckle en lui faisant soutenir, non pas la lenteur relative du processus moral, mais son invariabilité. Il convient, sur cette matière, de conclure, comme on l’a fait, que la morale est comme la mathématique, qu’elle se modifie lentement, « par la juxtaposition des vérités, et non par la révolution des théories. »

Quant à la conclusion même de la thèse, la voici : la double action de la nature et de l’intelligence est un principe élémentaire de la philosophie de l’histoire. Il faut accepter les doctrines et les lois de l’histoire naturelle, et les faire servir de base à l’histoire, comme la nature inorganique est à la base de l’organique. L’histoire scientifique est à égale distance du providencialisme, celle parodie de la prédestination, du libre arbitre, cette caricature du hasard, et du fatalisme matérialiste, cet épouvantail des diseurs de litanies. C’est donc sur les débris pulvérisés du programme de la commission que Sylvio Roméro a bati sa thèse.

Félicitons ce penseur de montrer tant de hardiesse dans un pays qui n’était pas jusqu’ici des mieux partagés au point de vue de la richesse intellectuelle. Il dit lui-même, et nous l’en croyons : « Ce qui prédomine chez nos philosophes et nos historiens, c’est encore aujourd’hui la manie des amplifications de rhétorique, selon le goût de quelques modèles français. » La comparaison n’est flatteuse ni pour les modèles ni pour les imitateurs. S’il est vrai, toutefois, que le reproche soit encore mérité par quelques-uns de nos philosophes et de nos historiens, ce n’est pas faute d’avertissements, ni de bons exemples donnés, même en France, avant qu’il en vint aussi du fond du Brésil.

Bernard Perez.